Jules Vipaldo, Pour qui sonne le douglas ? par Michael Foucat

Les Parutions

24 avril
2024

Jules Vipaldo, Pour qui sonne le douglas ? par Michael Foucat

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Jules Vilpado, Pour qui sonne le douglas ?

Après Le banquet de plafond et Sédition publiés tous deux chez Tinbad, Jules VIPALDO, fidèle au style fantaisiste qui lui est propre, plein « d’autodérision et d’audaces lexicales », aborde, cette fois, un sujet dont on parle finalement assez peu : l’enrésinement de nos moyennes montagnes et ses conséquences. D’où le titre de son livre, Pour qui sonne le douglas ?, qui paraît au Dernier télégramme, et fait référence, bien sûr, à cette essence canadienne « que l’on a plantée massivement à partir des années soixante ». Tout se déroule sur le plateau de Millevaches, mais pourrait tout aussi bien se dérouler ailleurs, dans le Limousin, le Morvan ou le Massif central, par exemple.

 

« Plantations intensives, coupes rases, acidification des sols, ruissellement », détérioration des paysages, menaces sur la biodiversité, tensions sur la matière première, errances politiques, destructions et pollutions diverses, et exportations excessives vers l’étranger, et, en particulier, vers l’Asie : tous les aspects de cette problématique sont, ainsi et tour à tour, abordés dans ce livre, à travers le personnage de Jules, un peu gauche et un rien « fleur bleue », sorte de double de l’auteur, tantôt confronté au discours des professionnels de la filière, tantôt distillant, pour son propre compte, un manifeste amusé pour la défense des arbres, et, en particulier, des bois de feuillus ou des forêts diversifiées !

 

Jules se promène dans la forêt comme dans la foule de ses semblables. « Errer parmi les érables » est une devise qu’il pourrait faire sienne, si au moins il y avait des érables !

 

L’auteur, qui n’est pas un détournement près, se présente ainsi sous les traits de Douglas Fairbanks, dont il va user du patronyme pour qu’on entende également, dans cette affaire de douglas, « faire banque » — et ce « kafkapital » qui semble, selon lui, mener la Nature et le Monde à leurs pertes. « Banque » et « kafkapital » contre lesquels il s’insurge sans jamais ôter son nez de clown poétique et littéral. De même, à l’occasion de cet ouvrage, il rebaptisera le « centre international d’art et de paysage » de l’île de Vassivière (où l’action du livre se situe et où il prétend avoir effectué une résidence de création clandestine ?), « centre international d’arbre et de paysage » !

 

Comparant cet ‘enrésinement’ à un « enrégimentement », devant tous ces « bataillons d’arbres plantés en rangs et au cordeau », VIPALDO, d’un ton toujours léger et presque « primesautier », comme il aime à l’écrire, brosse, pour nous, un portrait à charge (« de revanche ? ») des faits et méfaits de cette monoculture envahissante et de ces plantations de conifères — lesquelles ne sont pas sans répercussions sur la qualité des sols et sur les paysages concernés, que, parfois, elles referment ou défigurent, notamment, à chaque abattage radical !

 

Pour qui sonne le douglas ? contient, d’ailleurs, un certain nombre d’avertissements et de mises en garde, plus ou moins sérieuses ou cocasses, telle cette évocation d’un « retour de bâton » possible de la Nature, si nous ne prenons pas davantage soin d’elle et des arbres qui en sont l’une des composantes primordiales ! Mais la drôlerie du livre tient aussi au fait que l’auteur utilise à plein les possibilités qu’offrent prose et vers, mélangeant références hétéroclites et littéraires, jouant avec les signifiants, les glissements de sens, les changements de ton et de registre. Et, ainsi, en poète proche de l’écriture d’un Jean-Pierre Verheggen ou d’un Maurice Roche, par exemple, il se place au cœur du travail de la langue, pour décrypter, non sans ironie, à propos de « bois » et de « langue de bois », discours et anti-discours relatifs à cette question très actuelle des plantations de résineux et de ce qu’elles produisent.

 

« Que serait un monde sans arbre ? », s’interroge Jules : Un désert ? Une désolation ? Jules a la larme à l’œil, et même, "l’arbre à l’œil", à cette idée, sombre comme la plus sombre des forêts noires !

 

Marchant dans une forêt décimée, Jules rumine des idées de mort. N’a-t-il pas l’oppressante impression d’avancer dans un cimetière dont chaque souche serait la tombe d’un ami disparu ?

 

D’un ami qu’il n’aura pas eu le temps de connaître !

 

 

Le commentaire de sitaudis.fr

Éditions Dernier télégramme, 2024
88 p.
12.00€

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