lalali de Fabrice Caravaca par Tristan Hordé
Les ouragans se multiplient tout comme les raz-de-marée dévastateurs, les inondations détruisent récoltes et villes, le réchauffement climatique s’accroît et la banquise, le pergélisol fondent, les glaciers se réduisent..., en même temps les conflits armés se développent, les antagonismes entre les "grandes" puissances ne s’apaisent pas. De là à envisager la possibilité d’une apocalypse, une destruction de l’humanité, le pas est franchi par les survivalistes et autres effondristes. Ce scénario a été très souvent utilisé depuis, par exemple, La peste écarlate (1912) de Jack London ; Fabrice Caravaca part de cette perspective d’une quasi disparition de la vie terrestre pour, en de courtes séquences, imaginer des humains qui n’auraient plus aucune notion de la civilisation dont ils sont pourtant issus, comme si une catastrophe avait entraîné son oubli.
Certains ont emporté (mais d’où venaient-ils ?) des outils du "monde d’avant" sans plus en connaître l’usage. Des hommes attendent dans le silence et des femmes nues, ensemble, s’habillent ; les premiers semblent avoir perdu tout souvenir d’un passé devenu trop lointain, le visage des secondes ne manifeste rien de ce qu’elles ressentent. Hommes et femmes « forment une tribu » qui survit grâce à des « lois précises », mais ils vivent séparés les uns des autres. Ces humains d’un autre temps, comme beaucoup d’animaux, dorment peu ; ils ont oublié ce qu’est « la parole partagée », vivent « sans passion » dans un nulle part partagé en deux saisons — humide et chaude, humide et froide —, sans rien attendre, et pour eux le temps se réduit à l’instant.
Ils occupent des villages partiellement détruits et ils attendent la nuit pour se retrouver, « Ce sera le début de la chasse » — on reconnaît dans le titre hallali ; à l’origine le mot, dans le vocabulaire de la chasse, est apparu sous la forme ha la ly. Les petits animaux ne suffisent pas pour nourrir le groupe mais les grands, dangereux, prennent les humains pour proie et s’approchent parfois de leurs habitations. Cependant, il arrive que de gros oiseaux de la plage s’égarent, plus faciles à tuer.
Ces humains enterrent leurs morts et, les nuits de pleine lune, s’enduisent le corps de graisse pour danser nus ; pendant la saison chaude, ils s’exposent au soleil quand la pluie cesse un peu. Quand ils quittent leurs abris, ils ne peuvent se déplacer que vers la forêt ou la plaine, l’une et l’autre sans fin, ignorant si d’autres groupes sont installés ailleurs et ne s’en préoccupant guère. L’activité est réduite pour l’essentiel à la recherche de nourriture et, contre le froid et l’humidité, à la confection de vêtements de peau et à l’entretien du feu.
Le récit ne s’appuie pas sur des descriptions de la vie des préhistoriques, beaucoup plus complexes dans leurs activités, mais vise plutôt à suggérer ce que pourraient être les jours des humains privés d’échanges verbaux et donc de toute vie spirituelle. Dans cette fiction, il n’y a pas de parole — le récit s’achève avec l’image dans la forêt d’un homme qui « crie » — et « Hommes et femmes ignorent l’existence des rêves ». Il ne s’agissait pas pour Fabrice Caravaca de renouveler le genre de la science-fiction, simplement de rappeler que l’humanité ne vit pas sans imaginaire.