Poésibao III, numéro 1 par Marion Honnoré
C'est quoi d'abord une revue de poésie ? A quoi s'attendre ? Va-t-on y lire des poèmes ? De la théorie littéraire ? Je ne suis pas familière des revues de poésie. Les revues de philosophie je connais ; on travaille sur un auteur, ou sur une question ; on a une demande. On cherche un article, on le trouve, on le lit, et on obtient, ou non, ce que l'on était venu chercher. A la manière d'un archéologue. Si je me suis tournée vers la lecture – et l'écriture- de poèmes, c'est précisément pour vivre une expérience phénoménologiquement différente, voire inverse. Le poème agit par effraction ; s'il invite la philosophie, si elle rentre par la fenêtre, c'est de nouveau par effraction. Par surprise. Lire une revue de poésie me fait flipper. J'ai peur d'être happée par le concept. Asséchée par le concept. Enfin, allons-y voir….
Je commence par ce que je connais le moins : l'entretien avec Laurent Margentin autour de la revue de poésie géopoétique.
Encore une revue, donc. Dans une revue de poésie, lire un article sur une revue de poésie. Mais de poésie géopoétique. Voilà. J'apprends que « le terme de « géopoétique » est apparu sous la plume de plusieurs penseurs et poètes au cours des années 70, mais c’est chez Kenneth White qu’il a fait l’objet de la réflexion la plus poussée et la plus approfondie. Il apparaît pour la première fois dans un texte publié en 1979 à propos du voyage raconté dans son récit La Route bleue : « Automne 1979. Je voyage à travers les Laurentides, le long de la côte Nord du Saint-Laurent, en route pour le grand espace blanc du Labrador. Une nouvelle notion en tête : celle de géopoétique. L'idée qu'il faut sortir du texte historique et littéraire pour retrouver une poésie de plein vent où l'intelligence (intelligence incarnée) coule comme une rivière.»
Je crois comprendre qu'il est question d'errances, de « découverte de lieux où se produit une expérience plus dense de la terre ». Je crois comprendre que la sensorialité incarnée de la langue permettrait d'éviter l'écueil d'une éco-poésie qui, déployant des préoccupations écologiques dans le dire poétique, courrait inévitablement le risque d'abolir les deux.
Je m'inquiète un peu lorsque Laurent Margentin cite Kenneth White lui-même : « Si, vers 1978, j'ai commencé à parler de ‘géopoétique', c'est, d'une part, parce que la terre (la biosphère) était, de toute évidence, de plus en plus menacée, et qu'il fallait s'en préoccuper d'une manière à la fois profonde et efficace, d'autre part, parce qu'il m'était toujours apparu que la poétique la plus riche venait d'un contact avec la terre, d'une plongée dans l'espace biosphérique, d'une tentative pour lire les lignes du monde. »
Mais me rassure aussi d'apprendre que « Si la poésie est au cœur du projet géopoétique, celle-ci peut prendre des formes diverses qui ne correspondent pas à ce qu’on entend ordinairement par poésie. Un essai philosophique ou un livre scientifique peuvent être chargés de bien plus de poésie que n’importe lequel des poèmes de certaines revues de poésie contemporaines. ( ...) Des hybridations peuvent et doivent se faire entre récit, essai et poème, sinon on reste dans les mêmes schémas littéraires existants, et cela ne permet pas une nouvelle respiration. »
Bon, bon. Va pour la géopoésie. Je crois quand même que j'aurais aimé lire un peu plus de poèmes…
Heureusement il y a Bailly. Jean-Christophe Bailly, c'est toujours bien. Et Temps réel, récemment paru au Seuil, a l'air vraiment bien lui aussi. Les questions d'Isabelle Baladine Howald invitant l'auteur à préciser où, de la poésie, de l'essai, du brouillon, va la langue, ont le mérite de faire jaillir l'indétermination. Certainement pas en tant qu'elle serait une confusion, mais plutôt une densité, une richesse, une potentialité, à l'instar de ces points de suspension, de ces dessins, de ces tampons évoqués par Bailly.
IB H : Pour finir, un mot sur le vol des oiseaux ?
JCh B : ………………………….
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Et les inédits de Philippe Grand, issus de son Brouillon Numérique, qui donnent irrésistiblement envie de cliquer sur le lien
Chez moi le non-fumeur est accepté,
je ne l’expédie pas ne-pas-fumer dehors.
S’agissant de l’autre chez-moi, cet ici, je n’ai pas davantage
de règle à imposer à celui qui y entre – mais le lecteur ne se plaindra pas
dedans qu’il y tousse.
Ici comme là je partage mes fumées.
https://philippegrand.net/
Et la beauté des vers de la poétesse Elise Tourte :
Je me figure
Les jours creux comme des noix
Mon visage défait dans les draps
La déconfiture des fruits
que nous avions cru les plus mûrs
Elise Tourte, Rompre .
Et les autres inédits. Finalement je suis rassurée. J'en ai lu, de la poésie. Et un peu zappé je l'avoue les moments de critique littéraire, surtout quand on a la prévenance d'indiquer, page 40 : « On sait d'avance, ouvrant Joë Bousquet, qu'on ne comprendra pas tout ». Merci, c'est sympa d'avertir, je file direct à l'Hantologie, je ne passe pas par la case Derrida, enfin, pas aujourd'hui.
Après tout, c'est peut-être ça une revue de poésie.