bobok petit-petit haricot russe (extrait) par Robert Arlot
Souviens-toi tout commence sur un canapé marron un dimanche après-midi tu viens d'avoir vingt ans tu t'ennuies chez ton père au milieu d'un gros tas de russes une montagne de vieux auteurs personne ne te convient personne ne fait l'affaire tu n'arrives pas à lire tu fais semblant la dame de pique ne te plaît pas le joueur te fait peur tu penses tu-ne-sais-pas-tout-ça-t'emmerde des titres des noms des traductions premier amour peut-être le rêve d'un homme ridicule ou Bobok oui Berlu pourquoi pas Bobok c'est bien Bobok c'est fantastique ça fait houblon garçon un coup de pression mon galopin ça fait dimanche avec papa parfois je bois de la bière tu ris Berlu redis Bobok Bobok encore tu penses c'est rigolo c'est vrai ce mot bobok haricot petit-petit haricot russe tu penses non sens ou code secret Bessarabie ou Lipovènes un peu slavon un peu idiot mais tellement beau ce nom Bobok oui Berlu tu penses couché sur le canapé tu penses souvent tu penses trop tu te laisses prendre par tes pensées tu peines à lire il est tout juste 17h00 tu éternues as-tu pris froid ou est-ce de l'allergie à la littérature tu éternues tu te mouches tu éternues tu te mouches tu dis le temps m'en veut le temps toujours s'en prend à moi mais je n'est pas un imposteur tu éternues tu as vingt ans il est maintenant 17H02 tu te remouches des larmes tombent sur tes bajoues peut-être que tu pleures 17h03 maintenant le temps te parle il dit moutarde tu l'entends dire moutarde et enterrement 17h03 les voix du temps ne te sont plus impénétrables elle disent moutarde et châtiment Gagaouzie ablution elles disent crime cupidité roulette russe enterrement code sacré tout est permis tu écoutes tu ne comprends pas tu exagères mais Moutarde ça tu l'entends est-ce le temps est-ce sa voix ou est-ce des voix qui parlent en toi oui Berlu entends-tu des voix une voix la voie tu ne sais pas il 17h04 Moutarde persiste Bobok reprend sa place Bobok regagne ses vieilles montagnes Bobok n'est plus qu'un livre lu tu es couché tu cuves le vin de ta pensée le vide idiot des bouquins clos peut-être que tu dors tu dors un peu quelques secondes non tu penses tu penses trop Berlu tu n'en peux plus de penser je pense encore que tu rêvasses tu te vois déjà en vacances de l'autre coté des Balkans oui tu voyages en Tartarie les yeux fermés une envie de poulet rôti et de moutarde te terrasse mon (Dieu) Berlu n'en-as-tu-donc-jamais-assez ne-t'-a-on-pas-répété de te méfier des traits d'esprit de ne pas trop associer 17H05 tu ne parviens pas à faire le point tu cherches la bonne position l'orientation adéquate le confort nécessaire la fin des tergiversations tu suspectes les ressorts de ce maudit canapé tu te bouges tu te baisses tu te plies tu soulèves le matelas tu inspectes même à terre tu te demandes pourquoi une clé anglaise repose sous le matelas qui-l'-a-caché-ici et pourquoi-faire tu penses moutarde et colonel tu dis fantômes ou folie 17H06 tu te souviens de l'avoir abandonnée là cette clé anglaise oui exactement laissée ici pour ne pas avoir à la remettre dans le garage où tu avais la flemme de la ranger parce que tu détestes ça les boites à outils les places attitrées parce que tout ne s'explique pas tu n'as pas à te justifier tu persévères le Cluedo c'est démodé tu ne seras pas policier tu ne seras pas assassin tu ne tueras point tu n’as aucun désir de ça rassure-moi l'assassinat tu ne connais pas seulement de vagues pulsions meurtrières oui parfois des rêves de revanche des belles et des razzias de la littérature de poche rien de bien dangereux mais moutarde a été dit dimanche il était 17H03 tu l’as bien entendu (Dieu) sait comment 17h06 tu vérifies tu reprends Bobok tu ouvres la page tu lis et lies encore les mots tu relies à la virgule près pas un grain ne fait écho aux dires du temps la voix s'est tue tu ne comprends pas tu hésites entre rire et angoisse bobok petit haricot russe
Que fait Moutarde dans le salon un dimanche après midi à 17h03 ?