La trouver, extrait par Murièle Camac
Je danserai avec toi. Je sentirai la chaleur de ton corps. T’embrasserai tendrement sur la joue. Mes gestes seront précis et beaux, durs. Ma main partira de haut, s’abattra d’un coup. Elle se relèvera fière. La grâce d’un torero. Puis doucement, doucement, s’abaissera vers ma bouche, vers mon sourire. Je lècherai ton sang sur la lame. Ah, ça fait du bien. Tu seras mort.
On ne change pas de monde sans grande fatigue.
Il faut beaucoup marcher, beaucoup attendre, beaucoup maigrir.
Dormir.
On ne change pas de tête sans paire de ciseaux,
on ne change pas de ciel sans changer d’oiseaux.
Dans la poche pour me repérer je n’ai que The Audubon Society Field Guide to North American Birds. Les jours de torpeur il m’aide à rester immobile, les yeux tournés vers le ciel.
Je commence une liste de noms d’oiseaux.
Je passe par des paysages adorables. De petites routes le long des rivières : peupliers, frôlements, fougères.
Des étangs pleins de nénuphars (nénufars).
Des maisons dans les bois comme celle des sept nains.
Devant certaines, un panneau « A vendre » accroché à l’entrée.
Je parcours le Nouveau Monde.
Un jour je décide d’aller plus vite. J’accélère le mouvement. Je sors de ma torpeur. Je prends le Massachusetts Turnpike, comme tout le monde.
Ce n’est pas vrai : je ne vais pas très vite. Des avions chasseurs apparaissent en vol au-dessus de la route, tout près, tout bas — ce sont eux qui vont très vite.
Les chasseurs passent tellement à ras du paysage adorable et tellement vite que le paysage adorable en pousse un hurlement atroce.
Les yeux tournés vers le ciel, je vois et j’entends se déployer la puissance aérienne de la plus grande armée du monde.
Cela laisse sans voix.
Langue maternelle, langue virile, je déclare vouloir danser avec toi. Guide-moi, tiens-moi debout, renverse-moi. Oriente-moi de tes mouvements souples et musclés. Je suis capable de faire les mêmes à reculons et en talons hauts.
Je peux te suivre, je peux te précéder. Tes pressions discrètes sur mon corps amoureux, je les comprendrai, nous ferons un beau couple. Moi en robe rose, luisante de sueur sur la piste de danse. Toi souple et musclée, luisante de bave comme un escargot, rose.
Nous danserons français toutes les deux, nous ferons un sacré couple.
Malgré le manque de place, j’ai gardé mes robes : des robes de mariage, de soirée, de vernissage, de deuxième mariage. Des robes pour danser. Des robes de pas tous les jours, comme les textes qu’on appelle poèmes pour dire qu’ils sont de pas tous les jours.
Même si une robe, c’est très différent comme objet d’un texte qu’on appelle poème.