Grabide de Lambert Castellani par François Huglo
Ceux qui merdRent de Christian Prigent pourrait être continué. Car qui ne merdRe pas ? Rire est le sale de l’homme, lui-même sale de la terre : le sale est universel. Lambert Castellani écrit : « Universali le supersale ». Surtout la langue. Jamais pure. Elle pue. « La vla ton origin / Rgad la langue / cherche pu : ». Et pleine page, en face, en gras, une étoile entre parenthèses figure, si je ne m’abuse, un trou du cul. Zut(ique), alors ! La langue est sale de pendre au corps, sale de ce corps dont chacun est plein. Et sale d’âme pas moins. « Tout plein ras bord de vie intérieure (…) la marmelade plein la marmite qui palpite c du vivant pas du pensant c la panse ». L’obésité est devenue marqueur social, aussi négatif que l’orthographe fonétic, sa fantaisie, son inventivité, ses « lape-près » dirait Boby Lapointe, au pays rance des dictées de Bernard Pivot. Mais que chacun regarde « lfon dsa culott », là où causal devient « cusal », en un mot comme en deux. Comme Prigent Castellani est du côté de Rabelais, dont la boulimie intellectuelle et verbale déballe sans crainte un « torchecul » que Tartuffe ne saurait voir. Autre pleine page, toujours en gras, ce cri de joie et de colère : « IFODIR MER2 ». Non seulement dire, mais faire, ça urge, comme révolte ou révolution : « sa gronde o boyo o+o nivo c la bomb humaine fauvou poussé sapouss sava PT », même si ça « marchpapa », même si comme l’oncle de la « java des bombes atomiques » de Boris Vian, Grabide chante kia kekchose « kikcloche la ndan kjy rtourn mediatmen ». Ça gronde, jusqu’au moment où il y a « tout kexploz avec skil a o cu o cu o cun negociassion ». Face aux autorités diverses —« toilettes, vos papiers ! »—, Grabide-Gavroche monté sur scène chante : « J’ai du bon caca dans ma cacatiere ».
Sur les traces de Gargantua et du Grabinoulor de Pierre Albert-Birot, sans oublier le Chino de Prigent, Grabide est une épopée. Ses aventures, comme celles de Claudine ou de Martine, font rubriques : Grabide veut faire du sport, ou faire poème —« veu poem kipu o poin kfrais fondr lecteur dPeuR par lé 2 zoeïl », ou veut « dlamour dérenkontr ». Mais « ça narre narguant », jusque dans l’annexe où les références « top qualité », raturées ou non, sont qualifiées de « théories mal digérées / philosophies de visu », d’ « affects compassés / envie de tout casser / regardez-moi j’en connais ». L’épopée sous forme d’almanach donne l’impression de lire TXT, sur une page invitant à « fêter les 10 ans du Soi-Disant "Le festival du Vent" avec, page suivante, un bonus : « Ne manquez pas nos poètes en résidence !!! », ou dans le retour de rubriques, « mémoireflash », « holefactus » et « déjàvu », qui détourne les pubs : « couscous garbide c’est bon comme l’abat », ou les chansons : « quand t’es dans le disert / depuis trop longtemps ». Parmi les pages dignes de TXT, citons aussi cet à peu près dans l’esprit « craduction » : « sick transit gloire imodium ».
Entre Pinocchio, Cyrano, et Gogol, les aventures sont celles d’un nez « c tun cap sa salonge vla l’handicap ». La « fée txt » mouche « commun vieu troudné dgouliné », mais se défend par ces évidences : « eul né c déglasse mé on enten onc dir tupu du né jamé », et « pi on dit ksa sen ri1 kan on sen pas kekchose mais si sa santé lné ? ». Pour Grabide, « si sa pu sé ksé vécu / la ouksé sal c le normal ». Faisant « valser le saleça », il ajoute : c’est le réel. « Le réel c o bas morsso quça échoit » et c « là xa joui (men parle pa) ». Là « c lcorps qui gagn ki gagn pasksé lui qui décide kan xa décline ». Grabiide veut donc « poemkipu » comme la « langue dézott » dont il « peupus sdéganguer », et qui « fédezhorde », la « voix dézott » qui le parasite « pir kle pou dlangue » (cymothoa exigue, est-il précisé en note).
Gare à Grabide ! Car tout ce qu’il n’a pas (n’a « pan ») fait cible, et peloton d’exécution : « pan ! ». Grabide « la PAN ! lé code / lé PAN ! connaicté / lé PAN allé bcp a lécol ». Grabide « lé PAN ! cô lézott ». Grabide est mal nez. Grabide fait un bide, et même « bide sur bide rfusé en gra pazrtou ». Grabide merdRe. Et Verheggen nous manque. Le Verheggen de « l’âge gras » qui s’écriait : « Je est une outre » en dansant comme une « baleinerine ». Pour sûr, ce livre —le premier de Lambert Castellani— lui aurait plu.