Des objets nous accompagnent (ou l’inverse) de James Sacré par François Huglo

Les Parutions

27 mars
2025

Des objets nous accompagnent (ou l’inverse) de James Sacré par François Huglo

Des objets nous accompagnent (ou l’inverse) de James Sacré

 

            « L’objet, c’est la poétique », mais quel objet ? Pour Braque et Ponge, il est générique, mental, construit. Sacré nous entretient d’objets singuliers. Il constate en postface que l’ « objeu » et l’ « objoie » font passer Ponge d’un « parti pris des choses » initial à un « parti pris des mots ». Lui « demeure sans parti pris », parmi des « objets particuliers » dont la familiarité et l’étrangeté « se révèlent l’une à l’autre ». Le poème, « nouvel objet de mots », dira « peu / De l’objet choisi », tout au plus montrera-t-il « le désir qu’on a eu » de l’écrire en sa compagnie, faite d’ « observation », de « savoir » et de « souvenirs ». Le plus souvent poterie ou tissu, l’objet peut devenir tesson ou guenille, ce qui l’apparente au poème qui, lui-même, via éditeurs, rencontres, critiques, associations, n’existe que par « tout un tissu essentiel pour résister au silence quasi général autour des poètes dans les médias et la presse ».  

 

            L’enfant qui pétrissait la boue « en bord d’un chemin » quand il gardait les vaches pétrit aujourd’hui un poème, et peut tourner autour d’un mot comme posé sur le tour d’un potier. « On tourne, comme on dit, autour du pot ». Le mot « guenille » aurait pu devenir un titre. Tapis navajos ou poteries marocaines enroulent « le monde qu’on a vécu comme en  charpie autour de soi ; une guenille ? ». Une aquarelle qui a perdu la fraîcheur donnée quand elle fut reçue « ressemble à de la guenille ». Les objets gardés ou cassés rendent les poèmes « à leur état de guenille mal vécue », de « guenille de mots, faudrait devenir enfant pour pouvoir s’en déguiser », de « guenille plus que déchirée ». Des vieux carnets encombrés de mots sont « un vieux paletot qu’on ne prendrait pas pour aller voir des amis », une « guenille qu’on essuyait mal avec ». Ils sont rangés « dans une boîte imaginaire sur laquelle sont inscrits les mots "ma guenille" ». Même « tessons et débris », les « objets du "réel" » sont-ils « de l’anti-guenille qui fait rêver, / Qui tient vivant ? » Du moins « ma guenille » a « ce mérite / Qu’elle ne prétend pas écrire », serait « plutôt torchon de papier / Pour mal essuyer / Des salissures de ce qu’on a vécu ». Ses « misères de pas savoir dire » continuent « ce qui fut un mal vivre ».

 

            Misères, ces manières, ces tours de main ? Les langues sont faites de tournures, de « poteries sonores », qui ne sonnent pas en vendéen comme en marocain ou en anglais. Ce sont « musiques données par les mains du monde », saveurs offertes au lecteur. « Un grenier qu’on n’y mettrait jamais de grain », « Matin de bonne heure et pas chaud qu’il faisait », « Maman qu’a mouru, son battou mal tenu », « C’est comme de mettre au four un peu d’eau de la fontaine », « Et si me voilà pas parti », « Chez Maxime qu’on disait », « Les souvenirs sont cors de chasse qu’a dit Guillaume ». Le battou maternel , « outil de travail au lavoir », bricolé par le père, ressemble aux « bricolages d’écriture, comme par exemple quand une tournure patoisante s’encastre mal dans la grammaire apprise à l’école ».

 

            Tour de main, « ce geste de tasser des laines sur un métier à tisser ». Entre lieux et temps, les objets font la navette. C’est « Un outil de berger marocain / Que j’imagine bien / Dans la main d’un paysan vendéen ». C’est ce qui brille dans les yeux des chiens, clin d’œil à « la patine à reflets clairs / D’un marteau marocain ». Ce sont des clous martelés « jetés là / Dans le silence du temps passé, dans l’aujourd’hui qui me les donne ». C’est, entre des « pétroglyphes d’avant l’histoire » et des figures de verre des Hopis, le « visage de temps silencieux », « l’énigme des temps ». Ou, entre maïs hopi et celui de l’enfance, entre poème et monde, « Poussière d’espérance et de savoirs dans l’incompréhensible infini ». Ce sont objets qu’on ne fabrique plus, depuis que le plastique a remplacé la faïence : « l’à peine sourire d’un passé qui s’éteint ». Ce sont « mes vingt ans » en des « plats creux andalous » où je « découvrais / Le goût de l’orange amère, mais celui de la vie / Comme une merveille ». C’est « emmêlement du passé avec l’aujourd’hui », trébuchement proustien de la réminiscence. Mais les souvenirs sont « des sortes d’objets / Sans matière ni forme qui pourrait être leur vraie forme », dont on « ne saisit rien / Sinon des mots le bruit d’une écriture / L’idée d’un objet qu’on a perdu, une fumée ».

 

            Le potier tourne la terre autour d’un vide. Et « Chacun son mot vie, souvent / Qu’un petit verre de vide / Pour à la fin trinquer avec on ne sait pas ». Ou bouteilles, « Chacune remplie d’un sable qui vient / D’un endroit plus ou moins désertique / Aux États-Unis d’Amérique ». Ou « flacons à khôl » qui fait briller les yeux de « jeunes gars », un « jour de mariage à Zaggota ». Mais le khôlier est « dépareillé », « l’ancienne fête est finie / Mon poème aussi ». S’il n’a pas forme de bouteille, de verre, de khôlier, d’encrier, de carafe, qui l’ont accompagné, il s’est mis à leur école. La poétique, c’est un objet : « Une sorte de panier solide et agréablement léger. // On aimerait que se présente ainsi, ouvert, / Le vide (où rêver) d’un livre de poèmes ».

 

 

 

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