MOURETTE, extrait par Emmanuel Tugny
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Bientôt la rivière fait fleuve et bien sûr le fleuve fait boule et la boule est peuplée d'oiseaux, chapeautés et gantés sou neuf, dont les ailes battent ensemble des pupitres très assommants sur lesquels se sont fait étais des piliers vivants de volumes aux tranches, aux dos marqués d'un signe, un signe unique un peu tremblé.
Au pied de la boule, et tenue par deux fils entés de poulie dans la voûte mangée de rouille, balance Campé qui bâillant, du mell-benniget donnant sec, caillou vieux dans un nœud de ronces, démonte les crânes vivants des moules se tenant la main d'hommes passés qui forment file, de craie de paille abandonnées, dont le pas va pourtant certain vers les chutes formant au fond rideau de scène ou bleu delta, l'œil noir, la manière empêchée, que suit Longuy laissant au pieu la barge sur quoi, du pays, a sauté le chien du pays, Fidamuris, qui le prie fort de s'en retourner : "c'est Mourette..."
L'œil suie de Longuy prend son tour et sa main serre son empreinte à la main d'une morte belle aux tempes de céruse cave.
"Suis-je donc bien mort pour aller !", sourit l'arpenteur qui tantôt sentait battre le même cœur et s'échapper la même haleine de sa bouche où le saint maillet, guérisseur vieux de jeune vie, tape doux de la grosse pogne à quoi se résume Campé pour qu'aille léger le jeune homme et bien mort et franc de souci.
"Se peut-il qu'on meure en un rien ?", songe Longuy qui entend bien japper au loin Fidamuris mais doit aller où doit aller trouver la mesure du monde et qui, saluant égueulé la Dame Campé dont le vent berce la balançoire grise, passe outre la grande cascade, l'âme joyeuse au souvenir de ce que le terme est prochain.
Or Longuy est après les crêtes, après les neiges, après la chute, et le mur vileux rose rouge qu'un grand moteur muet fait aller, comme un drap sur son fil l'été dans le bon verger du Bon Père, ondoie, coude devant l'arpenteur et salive sur ses poulaines d'une langue chienne éployée pour saluer, pour dire sa joie.
L'ombre mise au monde est au port.
C'est un grand lacis de tendons, de nerfs et de ronds vaisseaux fraise qui, de la terre où fait des mers, remonte carmin jusqu'aux cintres d'où se rabat, lustré, frangeant, bavant son ourlet vers la terre, au terme d'un plissé muqueux contre quoi Longuy voudrait bien qu'un ciel projetât le soleil, le soleil orange qu'il rêve, qu'il rêve convaincu qu'il rêve, qu'il espère fixe fixer, garder en tête comme l'aube où sa traîne orange va choir, ce soleil miel que, dans ses classes, il invoque en poussant bien fort sur son œil et qui condescend à taper dans le crâne prêt, comme un midi, jus de safran, ce soleil qu'il attend pourtant tout à son semis de mesures, au rouge obtus qui clôt son fait à la vie vue de Saint-Yzore, sous-préfecture des Lunaies, avec un œil donnant sur rien, l'iris piqué de petits vers qui guérissent et meurent et remontent et lustrent les cils et la sclère et l'orbite ardoise où Longuy devine son visage ou bien le point toujours perdu dans quoi les deux droites qui font la vie, droites de matière et d'essence, de sel et de grain mercuriel, s'accouplent après les étoiles ou font l'origine, selon.
La muqueuse est un giron cru sillonné, blessé mais armé, non point d'un châssis pris dessous mais comme une aile en quoi le sang ferait os du sang tiré d'os.
Longuy a déposé le livre, le gros cahier des relevés, et voici qu'un reflux des glaires emporte le travail, ondant, la page roussie gondolant, souquant à fleur d'argile grasse, à vitesse si nulle et folle que Longuy la laisse couler, faire os et sang et du sang l'os, ou physique et feu : chavirer.
Fidamuris est là qui jappe et veut qu'on s'en retourne : on va.
Le livre est perdu dans la fronce et le glaire où sombre ou bien lève le monde mesuré de frais.
"Qu'à ça ne tienne, pense Longuy, j'ai tout mon essentiel en tête !"
Et, derrière Fidamuris, bien content que l'œuvre soit close et qu'encore elle ait consenti qu'il eût son rêve coutumier, il prend le chemin du retour.