AUTOBIOGRAPHIE (confetti n° 20201) par Jean-François Bory
Outre boire et travailler énormément, extérieurement,
pour gagner ma vie - cette expression d'époque ? Je
devais peut-être écrire mais je m'en souviens mal.
Je ne me souviens pas. Pas du moindre des efforts
pour cela, pas dans cette période en tout cas, après,
oui. Donc, outre boire beaucoup, travailler beaucoup
et écrire peut-être un peu ; je lisais. Ça, je m'en
souviens beaucoup mieux. Ainsi il ne me semblait pas
essentiellement tourmentant, bien que je l'entrevoyais
parfois sourdement, que l'essence intime de l'univers
n'est pas de même nature que la conscience que nous
essayons d'en avoir.
Voila le sentiment important qu'il me semble avoir
gardé de mes lectures. Mais c'est un souvenir, c'est-à-dire
un souvenir de souvenir - combien de fois
revenu à la surface? Et, donc, ce qu'il s'est passé "en
moi" réellement, dans ces années de jeunesse, je ne le
sais pas vraiment, je ne puis que le "prétendre".
Cette saison où je lisais-buvais-travaillais-comme-un-
forcené pour-gagner-ma-vie, il avait commencé à
faire froid plus tôt que prévu et le vent, dans les rues
de Paris, commençait à tout refroidir, il fallait déjà
fermer les fenêtres pour dormir. Je ne sais pas à vrai
dire si j'étais jeune, mais j'étais parfaitement heureux
des mille voix de mes cinq sens avec pas assez
de temps pour m'interroger.
Je buvais, je travaillais, je lisais. Puis je repartais
travailler, je buvais, je lisais. Comme je travaillais
beaucoup, comme je buvais beaucoup et comme je
lisais sans doute beaucoup, je n'avais pas de temps
pour grand chose d'autre. Je ne m'en rendais pas
compte, mais comme je travaillais beaucoup, je
gagnais beaucoup trop pour une seule personne.
Avec un charme et une patience accomplis, une
Collègue de travail tenta de m'empaqueter.
Mais il n 'y eut pas de femme, cette année-là.
Seulement moi, la boisson, le travail et la lecture.