ça tient par Yannick Torlini
tout texte comme tissé. tout texte tissé comme racines et terre et cadastre. creusé plus loin que terre, plus loin tout texte, tissu, minéral, végétal, creusé. racines et ce qui se fraie un chemin racines, dans le silence des strates racines. dans le silence et l’aveugle et. boue, calcaire, langue. brisure tout texte racines tout ce qui se fraie un chemin, brisure, la lenteur du chemin, la détermination de l’arbre et de la pierre brisure. racines encore et textes et tisser, et imbriquer, et emmêler, et nouer, et mailler jusqu’à, jusqu’où. comme un filet où prendre le signe tout tenir tout contenir et faire que. tout tienne. rien de ce qui existe. rien n’existe seulement terre et racines, seulement creuser avancer. rien entendre rien ce qui s’entend. rien seulement. rien encore seulement. rien et toujours seulement. ce qui parvient sans cesse, dans son propre effondrement. ce qui parvient, racines, réseaux, mailles, sans cesse. tu sais, tu sais tout ce qui parvient, dans ce texte et dans le sous-sol. dans les soubassements. ce texte et tout ce qu’il rampe et creuse et avance. tu sais. tu sais que les racines ont raison des murs. tu sais la force de l’effondrement, de l’effondré. tu sais la force, les forces qui tissent ce texte, phrases après phrases. rien d’autre et toujours autre, racines et trames et cheminements. au bord et tout au bord de ce creusement toujours.
ni les strates ni rien. ni l’infime mouvement du sol, ni les strates, ni l’entassement des mots et des langues. ni l’histoire de ce monde prise dans sa géologie de silences. ni rien ni ce monde, ni les strates qui densifient ce monde vide. ni rien. ni bouche, ni dents, ni gorge. ni les rhizomes qui s’étendent. ni rien ni guerres.
dire pas langue. dire lève pas langue et tête, et doigts, et jointures. dire pas langue lève et tombe, friches, déserts, ruines. pas langue lève dire, lève silence et temps. lève murs pas dire oscille. pas imaginer lève dire, lève ce qui. glaire langue et muqueuses, glaire dire pas lève, pas lève muqueuses et angoisses. pas exister lève dire, sang, salive. pas lève souffle, souffle poumons, souffle bronches, souffle alvéoles, souffle cœur, pas lève. pas lève dire côtes, racines, rhizomes. pas dire arbres frondaisons, élaguer pas dire lève, et langue, et branches, et ramifications, et élaguer. dire lève et pas langue, pas langue lève et coupe. pas langue lève tient, murs, devenirs, ruines. pas lève oscille, pas lève langue garde oscille. rien. pas rien. dire lève pas langue strates. dire pas lève, creusement. rien dire, rien faire. rien, strates, pas. langue pas lève langue, creusement, muqueuses. pas dire tête, pas dire corps. seule langue seulement langue, lève. lève pas dire, sol, sol langue, langue.
pas dire ça, pas dire langue et tout ce qui lève langue. tout ce qui lève tout ce qui s’insinue pourriture dans. ce qui s’insinue trêve et continuité et pourriture, dans. pas dire la dérive des plaques, pas dire dérive l’obstination des racines et des larves pas dire. pas dire lève, tout ce qui grouille tout ce qui, aveugle, rampe et grouille dire pas lève. pas dire lève, pas dire, forces lentes et sûres, forces lentes bien plus que sûres, forces, toujours forces et partout forces, lentes, sûres. pas lève dire mots, et mots, et mots, pas lève, la guerre de ce qui mourra encore pas lève pourriture, pas dire charniers, pas dire ce qui mourra. guerre encore, guerre tout au bout, guerre jusque. guerre la frénésie qui parle, guerre, guerre encore. guerre ce monde qui cessera de vivre, lorsque le dernier mot prononcé guerre. lorsque. guerre lorsque les animaux se tairont. guerre la viande qui cessera, redeviendra viande et terre et strates et silence à la dérive. guerre lorsque. toujours guerre lorsque.
pas certaine issue, pas certaine, situation pas, incertitude tu sais, pas certaine pas. tu sais. pas cette situation certaine. pas cette situation qui reviendra, incertitude, du moment définitif, du désastre définitif et qui pourtant poursuit pourtant pourtant. poursuit, pourtant pourtant. reviendra. tu sais. tu sais l’aveugle et l’obstiné. tu sais les ombres et leur consistance pourtant pourtant. tu sais que les mots s’accumulent et qu’il est toujours question de pièce, murs, angoisses, enfermement, déséquilibres, tenir. pas cette situation certaine, pas issue, pas certaine incertitude de cette situation. tu tiens. sans issue encore tu tiens encore épuisé encore à force de tenir encore. à force de faire partie des murs, de l’espace, de l’angoisse vide et ce qui ne dit pas son nom encore.
tiens bon. tiens encore. tiens même si la fatigue de tenir. tiens les murs qui te tiennent encore, tiens, tiens bon. tiens solide et obstiné, tiens racines et arbres. tiens comme tout a tenu pour le malheur. tiens, tiens tout ce qui te tient. obstine-toi. épuise-toi. tiens encore dans ce monde tout tient, tu n’en es pas le mortier, tiens bon. tiens fort, et déterminé, et certain, et toujours un peu plus, tiens.
tu sais l’inutile, tu te sais inutile. tu sais chacun de tes gestes, chaque mouvement qui te demande un effort vain et constant. tu sais qu’il n’y a pas de raisons à cela. tu sais l’inutilité de déterminer une raison à cela, à la succession des évènements, des mondes, des ombres et des menaces. tu te sais inutile et pris dans une signification lacunaire, tu te sais pris dans ce qui forme la pâte de ce monde terrible. tu sais l’inutile et l’indispensable inutilité des animaux qui meurent. tu te sais inutile dans les soubassements de ce monde. tu sais qu’il n’y a rien, et sous ce rien, un rien bien plus dense et angoissant encore. tu sais que tout menace et conspire à l’inutile. tu sais plus parler, plus voir, plus rien entendre ce qui s’entend. tu sais la magnitude de ce désastre tu le sais.
tient bon tout ce qui s’entasse. tient bon le monde qui avance entassé. tient bon cette menace dans les forces souterraines. tient bon la pièce. que les murs, le mortier et les briques encore. tient bon ce texte qui n’est rien d’autre que texte, texte, texte racinaire texte. tient bon le silence, tient bon l’inutile porté à bout de bras. tient bon l’équilibre, la fin de l’espoir, la perspective de ce monde. tout tient bon, tout refuse de s’effondrer. tout refuse dans ce grand oui lancé à la lumière et aux ombres. tout refuse et c’est une raison d’être, bien moins, bien au-dessous, bien glaise, bien argile. tout tient bon et tout invente les raisons de tenir encore.
tient tout ce qui tient. verticalité et siècles. langue enserre et gangue, lacs, rivières, souterrains. tient tout ce qui circule et dans l’espace entre chaque chose, dans la succession du vide et de la matière. langue pas cet effort, pas les mille strates, seulement l’ongle qui gratte et abandonne. tient tout ce qui tient et obstine, tout le non-sens de ce qui tient, de ce qui ne s’est pas effondré, de cette situation permanente et universelle. rien pas rien, langue pas langue, chaque contraire et entre, tout ce qui patiente entre. verticalité, siècles, strates, angoisses, racines et dans la langue racines encore, racines tout ce qui ronge les fondations encore. tient bon tout ce qui tient, les instants sont comptés, mesurés, limités. tient bon tout ce qui tient, il faudra apprendre à n’être que ruines.