Gwin-Zegal (extrait) par Jacques Josse
d'autres souvenirs reviennent, tel celui-ci, né un après-midi, à moins de vingt mètres, roulé dans des pans de brume, alors que nous buvions en silence, dédiant nos bières à quelques morts locaux dont les cendres furent jadis discrètement dispersées en petite pompe dans les parages, quelqu’un a hurlé, éructé, c’était vers la fin décembre,
à l’heure où d’autres parlaient, s’amusaient, dégustaient palourdes, homards, langoustes augmentés d’un blanc sec servi à température des bas-fonds marins, lui il a hurlé à tue-tête, disant, voix déformée, qu’il voyait le cafetier mort vingt ans plus tôt aller et venir avec un torchon sale sur l’épaule, lui ou son fantôme, comment savoir, ombre effilée, ventre bombé, debout près d’un taillis, en train d’arroser à long jet le calvaire dressé devant la chapelle de La Trinité,
il disait que l’autre bougeait, ne tenait pas en place, se dirigeait droit sur lui,
il devait être, hurlant ainsi, debout face au large, prenant embruns et rafales chargées d’écume en pleine figure, quelque part, seul au monde, sur la falaise, près de La Pointe de Plouha, là où on a soudain entendu claquer un bref coup de feu,
et puis rien, plus rien, sinon des bruissements épars, ceux des oiseaux, des fouines et autres bestioles partis se planquer au creux des ajoncs, loin du tireur invisible dont le chien, hagard et penaud, flairait sans doute, pour la dernière fois, avant de s'éloigner lui aussi, les bottes, les jeans, la gibecière vide et la bouche entrouverte du mort.