JACOB par Dominique Meens
un tronc de palmier abattu, de la rocaille, un ruisseau
Jacob, assis sur le tronc
Joseph sommeille de l'autre côté du ruisseau
JACOB
Jacob, assis sur le tronc
Joseph sommeille de l'autre côté du ruisseau
JACOB
Le nerf disparaît, je revois l'homme. Le nom disparaît, je revois l'homme. Je n'ai pas rêvé, j'avais suffisamment rêvé, c'est pourquoi l'homme est venu. Oui, je me suis battu. C'est écrit, il a bien fallu. Je n'aime pas me battre. J'ai toujours cédé, cette fois-là non. Il n'y a que les hommes pour se battre, c'était un homme, et costaud, je vous le dis. Je suis fatigué, très fatigué, et voyez, Joseph, mon fils, je boite. Ces brebis, ces béliers, ces chèvres, ces boucs, ces chamelles, ces chameaux, ces ânes, ces ânesses, ces vaches suitées, ces taurillons, allez ! allez ! tous devant, loin, loin devant moi, qu'il les prenne, mon frère, qu'il les prenne, je les lui donne, et de bon cœur. La bénédiction de mon père, est-ce moi qui l'ai voulue ? Croyez-vous ça Joseph ? Et les femmes, les servantes, et vous mes fils, allez ! traversez ! et qu'on me laisse seul, pour une fois. Qu'on me laisse, vous m'entendez ! Oui, Joseph, je m'allonge furieux, seul et furieux. C'est la peur qui revient. La peur rend furieux, effrayez un taureau vous allez voir. Un taureau, je le prends par les cornes, je le renverse. Un chameau suant le goudron qu'ils suent quand ils sont fous, je le plie. Un bouc affolé je l'assomme. Un troupeau égaillé je le rassemble. Je ne suis pas brutal, non, je suis fort et ma force je la cède à qui me la réclame. Cette fois-là non. Je veux dormir seul, comprenez-vous Joseph ? Si je ne franchis pas le gué pour m'écarter, je vous tue, fils, servantes, femmes, tous, et ces présents que j'envoie devant moi je les détruis tour à tour, je viens derrière eux comme la tempête, je remonte mon passé, mes efforts, ma sueur, mes ruses. Joseph ? Joseph ? Vous m'écoutez ?
JOSEPH
Je vous écoute, Père.
JACOB
Vous ne céderez pas, Joseph. Il faudra vous battre sinon, ou tuer un jour ou l'autre. Vos frères. Ne parlons pas de vos frères. Je ne vois pas cet homme, je ne le vois pas. J'ai franchi le gué, je m'allonge furieux. Je me souviens. C'est pourquoi je suis furieux. On dit que les bêtes se souviennent, ce n'est pas vrai. Il n'y a que les hommes pour se souvenir et le souvenir les emplit de honte et de colère. J'ai franchi le gué pour ne plus les voir. Toutes ces bêtes. Tout ce bétail loin devant. Et ce que je conserve de mes troupeaux, à paître de l'autre côté du ruisseau. D'un côté le monde, moi de l'autre. Allongé avec ma peur et ma fureur. Et celui-là qui vient, qui vient de nulle part quand j'ai dit qu'on me laisse. Seul !