Vous êtes six... par Chloé Delaume
Vous êtes six dans la pièce. Une pièce sombre, à l'unique fenêtre embrumée de barreaux. Vous vous êtes habitués à ces ombres anémiées, habitués à tel point que vos yeux ne saignent plus lorsque votre regard se heurte à la rouille torve. Vous êtes six, vous êtes las, avachis face à face trois par trois rangs d'oignons, reliquats solitaires d'un festin charognard. Vous devriez sentir à travers vos étoffes la structure en acier qui fend la moleskine. Bien sûr il n'en est rien. Bien sûr, évidemment. Vos orbites se dévident, les pupilles aiment s'enfuir vers le grand cendrier. Toujours plein à ras bords, le grand cendrier. Mégots, crachats, biscuits, papiers encore graisseux du hachis de paupières, petit tonneau replet détritus Danaïdes. Il est l'unique, l'élu, le grand cendrier brun aux multiples cabosses. Le point de convergence de vos trois doigts tendus, secondes phalanges index majeur en bouton d'or, pouce catapulte fébrile, secousse sèche, ongle rosse, c'est selon. Il reste l'épicentre de cette salle où ce jour, à cette heure, vous êtes six.