25 août
2011
le lieu et l'ici de Philippe Boutibonnes par Bruno Fern
Après s'être interrogé auparavant sur le reflet, l'ombre et les cendres1, l'ex-microbiologiste toujours écrivain2et plasticien des plus singuliers s'attaque dans ce mince ouvrage à cette nouvelle question de philosophe (ou d'enfant dont la curiosité n'aurait pas encore été laminée par le
divertissement industriel) : qu'est-ce que le lieu ?
Avec une « attention insistante », il s'exerce donc en 28 étapes numérotées (ce qui rappelle aussi bien Wittgenstein que Spinoza, tous deux d'ailleurs convoqués ici) à une patiente recherche de ce que l'on peut entendre par là - à savoir d'abord les rapports entre lieu et objet puisque c'est la perception du second qui nous donne familièrement l'idée du premier. En effet, s'il semble bien qu'il y ait « adéquation ou congruence parfaite » entre l'un et l'autre et que le lieu soit alors à considérer comme la « partie nommée de l'espace innommé » (autrement dit celle émergée d'un iceberg aux dimensions plus qu'incertaines3), c'est précisément là que le bât commence à blesser car, même si l'on fait du lieu l'un des attributs premiers de l'objet, ce passage obligé par la nomination (autre préoccupation majeure de l'auteur) laisse des traces, au moins dans la langue, dévoilant du coup un « entre deux fertile, embarrassant et inquiétant ». C'est pourquoi P. Boutibonnes, au terme de cette méditation brève mais dense, à la fois méthodique et ouverte, savante et éloignée de tout jargon, définit l'ici-du-lieu tel le socle (perceptible) qui peut recevoir (par la pensée) des lieux différents - et aller jusqu'à marquer la vacance, voire l'absence, tout particulièrement celle d'un être aimé ou bien, comme l'écrit J.-C. Bailly, quand, retrouvant un lieu connu autrefois, on y distingue la couche « d'un futur où notre mort semble incluse et pour ainsi dire déjà comprise dans le chœur muet des choses4». Bref, une façon subtile d'articuler présence et disparition, aboli et bibelot. L'opuscule se clôt justement sur les derniers mots d'Aristote avant sa mort : « Mes chers amis. Il n'y a plus d'amis. »
1 Cinquante-six propositions pour faire du reflet une image (2006) et La lumière offusquée, De l'ombre (2009), tous deux édités par la Galerie L'Ollave.
2Le beau monde de Philippe Boutibonnes par Bruno Fern, - livre exceptionnel mais qui ne fut recensé qu'ici et dans le n° 21 de la revue CCP (Ed. cipM)...
3« Le monde connu ne formerait en réalité qu'une infime partie de l'univers réel - 4 % tout au plus, estime-t-on. » (H. Reeves)
4 Tuiles détachées, Mercure de France (2004).
divertissement industriel) : qu'est-ce que le lieu ?
Avec une « attention insistante », il s'exerce donc en 28 étapes numérotées (ce qui rappelle aussi bien Wittgenstein que Spinoza, tous deux d'ailleurs convoqués ici) à une patiente recherche de ce que l'on peut entendre par là - à savoir d'abord les rapports entre lieu et objet puisque c'est la perception du second qui nous donne familièrement l'idée du premier. En effet, s'il semble bien qu'il y ait « adéquation ou congruence parfaite » entre l'un et l'autre et que le lieu soit alors à considérer comme la « partie nommée de l'espace innommé » (autrement dit celle émergée d'un iceberg aux dimensions plus qu'incertaines3), c'est précisément là que le bât commence à blesser car, même si l'on fait du lieu l'un des attributs premiers de l'objet, ce passage obligé par la nomination (autre préoccupation majeure de l'auteur) laisse des traces, au moins dans la langue, dévoilant du coup un « entre deux fertile, embarrassant et inquiétant ». C'est pourquoi P. Boutibonnes, au terme de cette méditation brève mais dense, à la fois méthodique et ouverte, savante et éloignée de tout jargon, définit l'ici-du-lieu tel le socle (perceptible) qui peut recevoir (par la pensée) des lieux différents - et aller jusqu'à marquer la vacance, voire l'absence, tout particulièrement celle d'un être aimé ou bien, comme l'écrit J.-C. Bailly, quand, retrouvant un lieu connu autrefois, on y distingue la couche « d'un futur où notre mort semble incluse et pour ainsi dire déjà comprise dans le chœur muet des choses4». Bref, une façon subtile d'articuler présence et disparition, aboli et bibelot. L'opuscule se clôt justement sur les derniers mots d'Aristote avant sa mort : « Mes chers amis. Il n'y a plus d'amis. »
1 Cinquante-six propositions pour faire du reflet une image (2006) et La lumière offusquée, De l'ombre (2009), tous deux édités par la Galerie L'Ollave.
2Le beau monde de Philippe Boutibonnes par Bruno Fern, - livre exceptionnel mais qui ne fut recensé qu'ici et dans le n° 21 de la revue CCP (Ed. cipM)...
3« Le monde connu ne formerait en réalité qu'une infime partie de l'univers réel - 4 % tout au plus, estime-t-on. » (H. Reeves)
4 Tuiles détachées, Mercure de France (2004).