200 conseils pour bon filmer, Jean-François Magre par Bruno Fern
Signalons d’emblée que Jean-François Magre en connaît un rayon dans le domaine de l’image, ou plutôt d’une suite d’images conçue telle une écriture, ainsi qu’il l’affirme en citant Derrida : «L’écriture est tout ce qui peut donner lieu à une inscription en général, qu’elle soit ou non littérale et même si ce qu’elle distribue dans l’espace est étranger à l’ordre de la voix : cinématographie, chorégraphie, certes mais aussi "écriture" picturale, musicale, sculpturale, etc... » (De la grammatologie). En effet, il est notamment l’auteur de nombreuses vidéos diffusées dans plusieurs festivals : Les Inattendus, Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris, Les Instants Vidéos de Marseille, etc.
Il prodigue ici des conseils numérotés de 1 à 200, regroupés en 6 chapitres et une conclusion, avec en prime, comme lors des séances au ciné d’autrefois, un entracte proposant au lecteur non pas du pop-corn mais un jeu lexical pour apprendre « cette indifférence aux bonnes réponses qui occultent les vraies questions maintenant que vous vous ressourcez aux lacunes ». Aussi pratique que théorique, cet ouvrage fait traverser l’histoire du cinéma, cet « agrégat informe dont les facettes sont constituées d’auras des arts qui l’ont précédé », du muet des frères Lumière et Méliès jusqu’à Kubrick et Fellini. L’approche se veut à la fois erratique (« Le cinéaste est un badaud »), hors des sentiers battus (« Premier geste qui sauve / Jetez le mode d’emploi de votre caméra »), et précise (« Le cinéma est donc cet appareillage complexe / Dont l’évolution suit d’occultes principes oculaires »). L’auteur insiste tout particulièrement sur la matérialité de l’entreprise, parcourant un à un tous ses aspects techniques, et sur son artificialité puisque l’image cinématographique ne permet qu’une vue partielle et décalée dans le temps de ce qu’elle tente de montrer. Il ne cherche pas à en masquer les limites mais, au contraire, il incite à en jouer en n’hésitant pas à « aller fureter du côté de la matière noire / 95 % de l’univers qu’on ne pige pas ».
Quant à l’incorrection du titre, elle en dit long sur le fait qu’il s’agit d’échapper aux conventions, aussi bien cinématographiques que littéraires. À ce propos, la plupart des conseils, loin de toute monotonie, adoptent des formes multiples : listes avec ou sans variations (l’une part du fameux titre L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat et le transforme via permutations et paronomases), alternance entre vers (de longueur très variable) et prose (ponctuée ou non et parfois avec une certaine teneur autobiographique), collages d’éléments divers (par exemple, à partir de titres de westerns spaghettis), textes pouvant être rattachés à la poésie visuelle, etc. De plus, il faut noter les fréquents sauts d’un registre de langue à l’autre : « Vous entendrez qu’avant d’tâter d’l’hypergonar / Vous d’vez en passer par l’scénar / Mais si la dramaturgie vous emmerde bannissez-la donc »).
Ainsi Jean-François Magre offre un livre qui intéressera autant les amateurs de cinéma que ceux de littérature et même au-delà puisque les réflexions faites au fil des différents conseils élargissent indéniablement le champ, non sans humour : « En règle générale méfiez-vous / De tout ce qui se contrôle / Par une aiguille qui divague / Sur un cadran finissant dans le rouge ».