Grandeur nature de Henri Droguet par Bruno Fern
Après une trentaine de livres à son compteur, Henri Droguet propose avec celui-ci des poèmes écrits entre mars 2013 et décembre 2019. Tout au long de ces six années et des poussières, il y a réaffirmé l’importance pour lui de certains éléments naturels : l’air (avec l’omniprésence du vent qui « dans l’ouest dépave s’engouffre / dans la beauté brève parfaite et dense / d’un cumulo-nimbus pantouflard »), l’eau (mer/océan et pluie en étant les figures dominantes), le ciel et ses changements incessants et la terre, souvent évoquée à travers la côte et ce dans tous ses détails : géologie, faune et flore.
Cela dit, dans le poème qui donne son titre à l’ouvrage, une nouvelle dimension à cette « grandeur nature » est introduite : « dans la coulisse un ange exilé / serre dans son panier trois nuages (un noir, un blanc, un rouge) », apparition aussi mystique que drolatique, issue d’une humanité dont l’auteur souligne autant la volonté de puissance (« l’homme / vorace insatiable machine ») que la précarité (« il est 20 h et des poussières T.U. / et le sempiternel poucet rêveur à sa vadrouille / ouvre très grand ses petits yeux bleus »). La plupart du temps, cet homme-enfant se retrouve perdu dans un univers qui n’est pas à son image mais où il finit par trouver sa place malgré tout : « et Dieu merci la nature / est là puante / merveilleusement »
À ces thématiques droguettiennes sont subtilement mêlés de nombreux échos à l’histoire de la littérature, plus ou moins explicites à force de détournements : ainsi on reconnaîtra très souvent Rimbaud (« refixant / l’inconnu les vertiges », « on hisse à bord l’unijambiste Arthur », « – On n’est pas sérieux. / – On a 17 ans. », « et ça ne veut pas rien / ça ne veut plus dire ») mais également Baudelaire, Apollinaire, Frénaud ou Perros. Un autre fil majeur du livre est constitué par l’écriture elle-même, pratique considérée comme vitale (« trouver le bon usage / du silence se dé/dire / et tenir / la mort à distance ») et pourtant lucidement conçue avec ses limites, ce qui engendre notamment le désir récurrent d’y mettre fin : « courir à l’île s’embarquer / pour là-bas pour / s’y taire / ASSEZ LES MUMUSES ! »
Cette tentation rimbaldienne est l’une des raisons qui éloignent Henri Droguet d’une poésie drapée dans un prétendu haut lyrisme, ce dont témoigne par ailleurs le fait qu’il n’hésite pas à brasser tous les registres, du savant (références littéraires comme on l’a vu mais aussi scientifiques, techniques, historiques, etc.) au trivial, par exemple en insérant régulièrement des chansons ou des comptines dans les textes : « « baragoins et remuements / toute la lyre et rantanplans / des boums boums et du sentiment / ah dis donc fais nous rire »
Quant aux formes, l’auteur sait les renouveler par des trouvailles comme celle qui consiste à structurer les strophes d’un poème autour du verbe avoir ou d’un parcours ponctué par des bribes de dialogue ou des citations. Enfin, loin d’un vers dit libre qui se réduit encore chez beaucoup à un simple découpage de grammaire fonctionnelle, la coupe fait l’objet d’un véritable travail, aussi bien rythmiquement que sur le plan sonore, contribuant à créer une langue qui échappe au lyrico-fadasse, à la fois énergique et minutieusement fracturée :
on dira que les mots nous c(r)achent
au rare ha-
sard dis t’en
ressouviens-tu petite âme
câline animule blandule
éternelle virgule et tout petit béni
tas de tout