Au cimetière par Christian Jacomino
6 juillet 2020
Quand vous allez au cimetière le dimanche après-midi et que la chaleur est accablante, vous me demandez quel livre vous pouvez emporter. Je vous remercie de votre confiance. Pour vous répondre, je dois distinguer plusieurs moments. Celui d’abord où vous sortez de la ville. Prenez le tramway. La ligne suit le bord de mer. Une précaution pourtant, portez un masque. Faites en sorte que votre regard glisse sur les visages qui vous entourent comme sans les voir. Débrouillez-vous pour devenir invisible. Si plus tard ils sont interrogés, aucun des passagers ne doit se souvenir de vous. Vient ensuite la partie où vous marcherez seul, le dos courbé, les mains croisées, sur le chemin qui gravit la colline. Il s’élève au dessus de la mer. Il la célèbre. Durant cette partie de votre voyage, vous ne pourrez pas lire, vous n’êtes pas entraîné à le faire en marchant comme font les rabbins de mon quartier, mais vous pourrez marmonner à tout le moins quelques poèmes appris à l’école, lorsque vous étiez enfant, et que vous savez encore par cœur. Enfin, quand vous serez parvenu devant la tombe, que vous vous assoirez à l’ombre d’un grand cyprès, le dos glacé de sueur, un vrai livre de poèmes sorti de votre poche fera l’affaire, à condition que celui-ci soit écrit dans une langue que vous connaissez mal, ce qui implique qu’en plus du livre vous soyez équipé d’un petit dictionnaire et sans doute d’un crayon. Quelques paroles adressées à la personne défunte interrompront ici et là vos menus travaux de traduction. Et ainsi vous resterez paisiblement occupé jusqu’à l’heure de la fermeture. Le gardien siffle dans les allées. Avant de partir, n’oubliez pas d’arroser les fleurs.