Leçons par Christian Jacomino
Le chantier « Poétrie » s’est ouvert en août 2014 avec l’écriture d’Énigmajoue
Depuis, chaque texte qui s’ajoute inclut des éléments de fiction romanesque venus de la nuit. Non point du rêve (ce ne sont pas des récits de rêves) mais des moments d’insomnie qui me font allumer ma tablette numérique au milieu de la nuit et travailler une heure peut-être avant de me rendormir. Mon téléphone étant synchronisé, je peux reprendre mes notes à n’importe quel moment de la journée. Cela donne des textes surécrits dont la composition se noue au fil du temps de manière à la fois précaire et irréparable. La référence constante à l’univers du conte (et de la mythologie) rattache ces vers enchevêtrés à ce que Pierre Péju intitule « l’enfance obscure », qui est un ordre de goût (ou style) auquel il est permis de rester fidèle tout au long de sa vie et qui compte, parmi ses « grands couturiers », Pierre Reverdy aussi bien que Haydn ou Boulez.
(C. J.)
Compris aussitôt que mon séjour se passerait
dans la banlieue. Une voiture m’attendait à la gare.
Piotr assis à l’avant,
il donnait des ordres au conducteur.
Nous parlons en nous regardant dans le rétroviseur.
Nous traversons des quartiers anciens,
places monumentales que je reconnais
pour les avoir vues en photos. Il neige,
il se mit à neiger. Les ailes blanches des oiseaux
battaient dans le ciel des boulevards.
Des nuages noirs emplissent le ciel comme
des ballons qu’on voit pilotés par des êtres
sévères, parfois rigolards.
Échanges de tirs au laser.
Plutôt rituels. La nuit vient trop vite.
La banlieue, au contraire, apparaît dans un pâle
soleil d’hiver. Ma chambre au premier étage
ouvre sur une esplanade où s’installe un cirque.
Je découvre sous ma fenêtre ses caravanes
peintes de couleurs vives. Je respire l’odeur
des fauves, je les entends se plaindre
dans la nuit, raconter leurs histoires.
Occupé la plupart du temps à jouer aux échecs
avec des inconnus dans un café où je prends
mes repas. Puis, les cours de linguistique
que je donne dans une salle des festins
équipée d’un tableau noir. J’écris
avec des craies, mes élèves inclinés
vers des liasses de notes qu’ils surchargent
sans rien dire. Je ne suis pas sûr
de leur compréhension. La plupart repartent
en tramway dans le quartier du port
où ils enseignent à lire à des enfants.