Gérald AUCLIN, Paris rimelicks par Myrto Gondicas
Voici un auteur éprouvé de bandes dessinées et illustrateur (qui le plus souvent signe aussi les textes, et qui a créé plusieurs revues) : dans cet ouvrage dont le titre, déjà, s’orne d’un calembour, sous le prétexte de présenter Paris et ses quartiers, il s’attaque à la forme originellement anglaise* du limerick — tâche redoutable et courage certain.
Non qu’il soit le premier. Les amateurs se souviennent ainsi des des 101 limericks français de Jean-Claude Carrière, parus en 1988 aux éditions La Bougie du sapeur. Le limerick est donc un court poème en cinq vers inégaux, avec un schéma narratif comme suit : « Il était un xxx [le personnage principal] de xxx [ville ou pays d’origine], à qui il arriva [telle et telle chose,] ce qui entraîna [telle ou telle chose] pour ce xxx de xxx. » La présence de rimes et la répétition quasi-identique du premier vers dans le cinquième aident ces petits textes souvent absurdes à s’imprimer dans la mémoire.
Mais il y a plus : comme le permet très naturellement l’anglais, ils sont rythmés ; si x représente une syllabe atone et v une syllabe accentuée, nous avons :
x v xx v xx v (x)
x v xx v xx v (x)
x v xx v
(x) xv xxv
x v xx v xx v (x).
On imagine déjà le défi pour un auteur français, dont la langue n’a pas d’accents, sinon des accents de groupes de mots (ainsi : « dont la langue » « n’a pas d’accents »), et qui doit trouver un équivalent fonctionnel. Il s’accrochera bien sûr à la rime et, dans le meilleur des cas, forgera des vers traditionnels français (alexandrin, décasyllabe, octosyllabe…) ; joindre les deux ensemble est un pari que même Jean-Claude Carrière, malgré des réussites appréciables, ne réussit pas à tenir.
Gérald Auclin y arrive. Un exemple parmi les quatre-vingt-dix-neuf pièces parisiennes :
Jadis, un corbeau de Corbeil
sur un arbre perché eut sommeil.
Alors maître Renard,
par l’odeur des panards
alléché, lui becta les orteils.
Certes, la moitié emblématique du premier vers (« un corbeau de Corbeil ») n’est pas reprise à la fin ; mais dans d’autres morceaux, elle l’est ; sinon, une rime ingénieuse y supplée très heureusement. Citons quelques-unes de ces trouvailles, où s’égrènent des noms de quartiers parisiens ou de banlieues avoisinantes : Sarcelles / ensorcelle ; Cluny / alunit ; Pont-Neuf / son œuf, etc.
Nous croisons ainsi, au fil de ces insolents quintils, marins, policiers, gardiennes de musée, nonnes, marquis… et même une morte. Leurs hauts faits sont souvent absurdes et volontiers salaces (loi du genre, facultative mais souvent reprise par les imitateurs : quand Jean-Claude Carrière parle de « littérature impure », c’est à cause du caractère mixte du genre, mais aussi de la composante érotique, qu’il se plaît à illustrer). L’oreille du lecteur, plus ou moins vite, s’habitue à cette cadence étrangère, si délicieusement mariée au vers français. Et les images ? Un magnifique noir et blanc qui évolue entre ligne claire et souvenirs de Vallotton, explicitant parfois ce que le poème laissait à l’état d’allusion. On comprend que le livre n’est pas, comme on dit, à mettre entre toutes les mains. Ceux qui l’ouvriront auront en tout cas eu la main heureuse. Un dernier poème pour prendre congé :
Jadis, un rimeur de Paris
fit un livre façon safari.
Il traqua, prit au piège,
épingla sur du liège
Ses victimes futiles et rit.
* Le nom viendrait d’une ville irlandaise ; pour d’autres, il faut en chercher l’origine dans le XVIIIe siècle français.