James Sacré, Choix de poèmes par Tristan Hordé
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La meilleure anthologie est celle que l’on fait pour soi, écrivait (à peu près !) Paul Éluard qui avait préparé une anthologie de la poésie du passé et une autre des écrits sur l’art. L’anthologie qu’un écrivain prépare de ses propres textes retient plus le lecteur que celle d’un amateur, même s’il connaît fort bien les supports de ses choix. Les éditions Unes, dans une collection de poche, ont sollicité en 2024 Jean-Louis Giovannoni et Geoffrey Squires, en 2025 Esther Tellermann et James Sacré. Ce dernier avait proposé une anthologie thématique à un éditeur algérien (Par des langues et des paysages, APIC, 2024), celle composée pour les éditions Unes est différente, il a choisi un poème (parfois deux) dans 97 des livres publiés, de 1965 (Relation) à 2025 (Rue de la Croix, à Celleneuve ses escaliers puis d’autres), certains regroupant des recueils déjà publiés. Le lecteur serait-il ainsi invité à suivre un parcours, peut-être une évolution des thèmes ou de l’écriture ? cette lecture impliquerait que l’auteur aurait choisi les poèmes en vue d’une telle démonstration. On peut bien dire qu’une œuvre est "vivante", certes, mais la métaphore est à éviter si l’on entend que l’écriture passerait de l’enfance à la maturité.
À lire les quelques lignes retenues de Relation, le lecteur reconnaît une partie du vocabulaire de James Sacré, présent dans les livres ultérieurs, enfance et geste, et récurrents arbre(s) et campagne. On pense à un souhait de donner un aperçu d’une œuvre qui, se développant sur une très longue durée, n’est certes pas restée immobile, mais le regard sur les choses n’a que peu changé. Il s’est affiné, devenu peut-être plus amoureux, et l’écriture a toujours laissé de côté un vocabulaire trop recherché, une syntaxe qui respecte toujours la norme. Pour qui lit depuis longtemps James Sacré, il n’est pas aisé de dater tel extrait :
Il devient inutile de dire le nom des herbes. Cela n’ajoute rien. On découvre qu’il s’agit de trouver un support à des phrases, à des intentions pugnaces. On fabrique un poème. Graminées remuées. Peut-être.
(1968)
Au fil des années, on lit dans les titres que l’un des socles de la poésie de James Sacré est la tentative de dire et redire avec justesse ce qui importe, qu’il s’agisse de l’enfance dans la ferme, de la relation à l’Autre ou ce que l’on voit, ce qui est devant soi : le paysage, le linge qui sèche, la petite salle de restaurant au milieu de nulle part, un âne, les arbres, des marchands dans la rue, des camions. Les poèmes de Follain sont d’ailleurs évoqués, qui ont pu être écrits « À partir de rien, le bruit d’une épingle / Sur un comptoir d’épicerie. Le bruit du monde / Ou le bruit d’un mot ». Aller toujours à la rencontre de l’Autre, de ce qui la plupart du temps est vu sans être regardé, de ce qui n’appelle pas le commentaire parce qu’il serait inutile.
Là où sont des étoffes c’est que des gens sont vivants ;
Carrés de torchons, petite culotte ou T-shirt qui sèchent
Sur un fil qui traverse la rue pas large, on devine
Le manque d’espace (et peu d’argent)
[…] (2010)
Ce qui est regardé n’appelle que rarement une glose ; devant des travailleurs émigrés exploités, dans la souffrance d’être pour longtemps éloignés de leurs proches, on éprouve peut-être de la rage devant l’inégalité dans la vie, et puis « on oublie » jusqu’à la prochaine fois. Devant la misère, rencontrant « une vie pas facile à vivre », note l’auteur, « j’ai pas eu envie de sortir mon carnet » ; mais il retient les détails du parcours dans un marché et une halle et, plus tard, revenu dans « le confort de l’hôtel » le « cahier d’écritures » est à nouveau ouvert. C’est une des caractéristiques des poèmes de James Sacré d’être régulièrement écrits à partir de "choses prises sur le fait"* et l’on en relève de multiples exemples dans cette anthologie. Par exemple, dans La solitude au restaurant (1987), après un rapide descriptif du lieu,
Des mots
(Voilà qu’on vient d’augmenter la lumière) pour seulement
Donner matière au rythme d’un poème, comment se fait-il
Que l’envie m’est venue d’en écrire un
Comme si en somme je l’avais trouvé là à cause d’une chaise remuée
À cause des pas traînants de la patronne (…)
Dire ainsi ce qu’est l’écriture de James Sacré est trop simpliste et lui-même refuse ce qui ferait du poème une manière de reportage, « Certes mon poème n’est pas une photo : mais s’il ne laisse pas dans sa liberté / une femme qui pourrait être ma mère, ou la tienne lecteur / Qui pourrait bien être / toute femme du monde en sa solitude de femme / Qui raconte et fait ce monde par ses gestes de vivante. »
Tout peut aboutir à une prose ou des vers mais, quelle que soit la forme choisie, un doute vient souvent quant à ce que transforme l’écriture : que "disent" les poèmes ? « les poèmes / m’ont emmené longtemps / Par des mots qui n’expliquent rien (…)/. Les mots sont aussi / Le silence et l’énigme ». La réponse n’est décevante que si l’on croit, espère trouver des réponses dans un écrit, dans les mots qui sont « peut-être moins l’or du temps que poussières de solitudes traversées ». Il faudrait citer encore et écarter le commentaire, s’accorder avec Malraux pour qui « toute anthologie se sépare d’une histoire de la poésie en ce qu’on l’établit pour être lue, non étudiée ». Celle-ci est une excellente invitation à lire entièrement les recueils cités
* Titre d’un des dossiers non publiés de son vivant de Victor Hugo.