Venezia Central de F. J. Ossang par Jérôme Duwa

Les Parutions

19 janv.
2015

Venezia Central de F. J. Ossang par Jérôme Duwa

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Sur la couverture de Venezia Central, l’image vert jaune du Grand canal transférée sur une pellicule de film périmée est en passe de disparaître. Un monde s’en va. L’heure du poème est-elle celle du thrène, du « chant fatal » ?

Les ferveurs apocalyptiques ne sont pas d’aujourd’hui. Chute, perdition, déclin ; au mot « futur » répondre par un éclat de rire sec, un rien cruel - façon Maldoror - et :  silence. Faut-il pour autant se laisser aller aux confortables déplorations  des néo-esthètes, des fanatiques des ruines, des post-modernes aux yeux chassieux ?

F.J. Ossang reconnaît in extremis dans la suite du « cortège des céphalées » - ces bacchantes rôdant sous son crâne exposé aux nuits automnales de Venise -,  « l’éternel retour de l’Endroit d’or ». C’est la traversée des relents de romantisme qui collent aux mots devenus dégoûtants : en finir avec certains rêves des grandes têtes molles. En finir avec certains mots : « Mare des images forcées du déclin ».

Arriver jusqu’à Venise, c’est parvenir aux portes de nouvelles perceptions. Les spectres sont là : Pound,  Géant Del Cimeterro, comme sera là Pessoa dans le froid spécial des matins de voyage, comme Rodanski à l’asile de Lyon et encore beaucoup d’autres, enfouis entre les lignes, ou dont les mots sont dispersés ici et là. Des cendres, mais pour fertiliser quel avenir ?

L’Endroit d’or annonce le Grand Œuvre en cours, au bout de la nuit humide de Venise :

« CAPUT MORTUUM. La phase de pourrissement de l’Europe touche / à son terme. L’heure du recommencement est venue. »

Autrement dit, dans le souvenir à peine audible des cris d’Antonin Artaud : « dialectique de la Merde et du Soleil ».

Pour assister à ce spectacle de décadence et de destruction, Venise constitue sans doute, tant géographiquement que culturellement, le promontoire idéal : attention, attention, vous êtes arrivé en gare de Venezia Central, c’est parti pour l’engloutissement de l’Occident !

Venise est littéralement au bord, à plus d’un titre : de l’Orient, de la disparition, de la haute mer. Elle est le lieu en suspens et en sursis.

Le film qui tourne en boucle, lorsqu’on lit F.J. Ossang, avec toutes ces phrases qui reviennent d’ailleurs, n’est pas vraiment Mort à Venise. On songe plutôt à ces longs plans mélancoliques de Guy Debord dans son film In girum imus  nocte et consumimur  igni.

Dans Soleil trahi, on lit : « Je déteste la Nuit, et pourtant j’y tourne. »

Revenir, après une première lecture d’une traite sur ces textes écrits entre 1982 et 2005 donne cette exacte impression de tournis dans la nuit. Pluie, enlisements, retour des morts, nausée des mots ; le nouvel impératif est : « Il faut écrire, le plus mal sera le mieux. » On le sait par le Mômo : toute l’écriture est de la cochonnerie.

Comment continuer quand la seule loi qui prévaut est celle des fantômes ? Comme on le vérifie avec l’ode à Pronto Rushtonsky, ancien membre du groupe les Messagero Killer boy fondé en 1980 par F.J. Ossang : all my fucking friends are fucking dead.

Résultat : nous voilà en compagnie d’Ossang, très  seul devant l’Etre qui ne rêve plus rien, puisque tout est devenu réel, c’est-à-dire « immonde ». Et que dit l’Etre en fin de compte ? Un « Bonsoir » ironique conclut le volume à l’enseigne des ténèbres sur les planètes.

Est-ce la fin du poème ? Sûrement pas.

D’ailleurs, dans le texte sans temps morts de Claude Pélieu (1934-2002) repris en postface, on relève cet avertissement : DON’T LOOK BACK !

L’histoire d’Orphée en est au début.

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