Tonton au pays des Viets de Jacques Demarcq par Jérôme Duwa
À bas la condamnation mallarméenne de l’universel reportage ! Le poète se fera reporter et Jacques Demarcq le prouve. On l’avait du reste déjà suivi en Islande, dans Les Zozios (Ed. Nous, 2008). Avec ces trois road poems, on change radicalement de direction :
- Où vas-tu, me dit-il ?
- Vers l’Orient.
(Aurélia, chap.II)
C’est parti : voyage d’hiver en décembre 2012. Après 11h de vol, atterrissage à Hà Nôi, transformé en Tonton. Pourquoi en Tonton, plaisanterie et Hergé mis à part ? Parce que dans ce pays, « les vieux il honore du titre d’oncle ».
Le Viêt Nam ne se visite pas exactement comme le Valois nervalien ou les pays de l’enfance d’Avant-taire (Ed. Nous, 2013), c’est-à-dire, les alentours de Compiègne, dans l’Oise, ou encore la Normandie. La première épithète qui surgit donne le ton : « le Viêt Nam est confus ». Et la dernière photographie confirme ce diagnostic : une jeune vietnamienne tout sourire faisant du majeur et de l’index le signe militant du V porte un tee-shirt avec le drapeau des Etats-Unis d’Amérique, l’ex-ennemi…
Confusion de l’histoire, confusion idéologique : la guerre froide est dépassée et tout s’embrouille dans les pétarades des motocyclettes définissant une nouvelle étape sur la voie triomphante du progrès du peuple vietnamien : « le motocyclisme stade fumeux du socialisme ». Confucius résiste malgré tout et coexiste avec la loi d’airain du marché mondial. 4x4, smartphone, Gangnam style et mausolée d’Hô Chi Minh façon Lénine ou autre hibernatus vénérés, entre grandeur et cruauté…
Si Tonton « se souvient des manifs pour l’offensive du Têt en février 68 », il se sent un peu seul avec sa mémoire. En apparence, l’idéal révolutionnaire ne désarme pas ; dans le graphisme ou les slogans, nul chant du cygne : la falsification comme partout est la règle du spectacle mondialisé nouvelle manière. Qu’ils sont inquiétants ces indestructibles cygnes-pédalos du grand lac Thuy Khuê que photographie Jacques Demarcq ! Bien rangés, bien immobiles : de faux zozios pour la plus grande joie des consommateurs fatigués ou des touristes repus.
Tonton, Tintin, les Viets et les Soviets, ce n’est pas exactement du pareil au même. Puisqu’il s’agit d’un voyage, les déplacements font partie de l’aventure. Ses propres photos de poète-reporter, un montage de vignettes à la manière de Tintin au pays des Soviets (1930) et ces trois road poems composent un triple récit où les échos se multiplient. Jacques Demarcq se fait dialecticien au pays du confus.
Le périple et le poème s’achèvent au milieu du couloir d’un car, Tonton bien coincé sur une chaise format enfant, puis deux, puis trois. Alors, c’était comment ce voyage ? Une seule réponse ne suffit sûrement pas, mais retenons toutefois celle-là : « ça rajeunit Tonton d’attendre il ne sait quoi ».