Nabokov par Emmanuelle Pireyre
Il paraît qu'à la mort de Nabokov,
Véra Nabokov avait fait à leur fils Dmitri
une proposition dans ce genre :
« Louons un avion et écrasons-nous. »
Véra Nabokov avait fait à leur fils Dmitri
une proposition dans ce genre :
« Louons un avion et écrasons-nous. »
Les livres de Nabokov sont le contraire de la passivité. Ils ont un effet stimulateur de mise en effervescence du réel : aucun cm 2 ne reste un cm 2subi, ni un cm 2 neutre. L'univers y est agité de vibrations perpétuelles, les activités prises en charge par un cerveau allant de légèrement survolté à exalté, criminel et ricanant. En lisant, on produit de loin en loin un petit bruit, un rire privé qui résonne étrangement dans une pièce silencieuse, comme quand en voiture on déclenche le bip de dépassement de la vitesse plafond, petit bruit qui est un test fiable.
Dans plusieurs de ces livres, le personnage central est un dément dont l'activité principale sans répit est de tromper le groupe social quant à la nature de ses intentions.
Ces personnages sont des demi-fous, en fait : pas des malades mentaux enfermés dans une maladie étanche, mais plutôt des individus dirigés par une idée fixe, une solide perversion (meurtre, pédophilie, bizarreries sexuelles diverses, folie du jeu), et conscients par ailleurs avec une grande acuité des codes sociaux indispensables, ce qui leur permet d'élaborer à tout moment des stratagèmes et une complexité de simulacres illusionnistes visant à masquer les penchants criminels tout en faisant en sorte de les assouvir.
« A l'hôtel, nous prîmes des chambres séparées mais,
au milieu de la nuit, elle entra chez moi en sanglotant
et nous nous réconciliâmes très gentiment.
Voyez-vous, elle était absolument seule au monde... »
(Nabokov, Lolita)
au milieu de la nuit, elle entra chez moi en sanglotant
et nous nous réconciliâmes très gentiment.
Voyez-vous, elle était absolument seule au monde... »
(Nabokov, Lolita)
D'où des livres intranquilles, des livres qui bourdonnent de dissonance jubilatoire et d'allusions perverses, en particulier ceux où le dément est en même temps le narrateur qui en profite pour mystifier le lecteur (Lolita, confession rédigée depuis la prison et adressée à ses jurés par le violeur d'enfant, ou encore Feu pâle). Comme avec l'ironie, le gain de plaisir consiste à lire une chose et à en comprendre une autre. Dans le même mouvement de lecture, on voit la situation montrée, on reconstitue mentalement la situation cachée apparaissant par bribes, on en déduit l'habileté stratégique de l'enchanteur.
Lolita n'est pas un livre pornographique évidemment, et pas non plus érotique du fait qu'il n'y a (d'ordinaire) pas de complicité ni d'effet d'entraînement sexuel entre livre et lecteur. Ou alors s'il est érotique, c'est d'un type d'érotisme visant très large, l'érotisme d'une excitation universelle des choses globalement ou dans le détail, même le détail inattendu. Ainsi eut lieu la première intuition de Lolita :
« Ce frisson avant-coureur fut déclenché je ne sais trop comment
par la lecture d'un article de journal
relatant qu'un savant avait réussi, après des mois d'efforts,
à faire esquisser un dessin par
un grand singe du Jardin des Plantes ;
ce fusain, le premier qui eut été exécuté par un animal,
représentait les barreaux de la cage de la pauvre bête. »
(Nabokov, A propos de Lolita)
par la lecture d'un article de journal
relatant qu'un savant avait réussi, après des mois d'efforts,
à faire esquisser un dessin par
un grand singe du Jardin des Plantes ;
ce fusain, le premier qui eut été exécuté par un animal,
représentait les barreaux de la cage de la pauvre bête. »
(Nabokov, A propos de Lolita)