Vie de Gustave Chpet (1879-1937) par Jean-Claude Pinson
... En date du 24 janvier 1921, il note
ainsi dans son journal qu’en très grand danger désormais
se trouve tout ce qui est de l’ordre de la pensée.
Sous prétexte d’égalité, on est en train d’aligner
le travail de l’esprit et ses exigences propres
sur la plèbe. Autant dire au degré zéro.
Lui n’aura plus qu’à se rabattre pour survivre
sur des travaux de traduction, le reste
sera pour le tiroir. Et pas question d’adhérer
au syndicat des travailleurs scientifiques
c’est, écrit-il, un repaire d’arrivistes et d’opportunistes
*
il fut un temps pourtant où, jeune étudiant
l’avait fasciné la pensée marxiste. Maints
mérites sans doute, une radicalité certaine et des solutions
simples qui ne peuvent que séduire. Mais au final
philosophiquement, ça ne saurait tenir.
Il l’écrira dans un ouvrage de 1916 qu’il intitule
L’histoire comme problème de logique
le régime soviétique, il était prêt malgré tout
à l’accepter, pourvu qu’on le laisse travailler
se considérant comme un citoyen ordinaire
disposant d’un droit de vote (la Constitution
nouvelle qu’on prépare ne garantit-elle pas en son article
125 les plus fondamentales libertés ?)
contre tout espoir
(il n’y croit plus guère), en novembre 35, il écrira même
à Staline, alors qu’il est depuis bientôt huit mois
en exil à Iénisseïsk où il a trouvé le précieux secours
de citoyens bienveillants. Nulle envie qu’on le transfère
à Tomsk. Il veut seulement travailler au service
de son pays, comme il l’a fait jusqu’ici, à raison de
14 heures par jour. Ses talents de traducteur
ne serait-ce que cela, peuvent être très utiles
à la science soviétique. Ne parle-t-il pas, il le rappelle
à Staline, 17 langues ? « Et jamais je n’ai pu imaginer
ma vie en dehors de la Russie »