René-Nicolas Ehni (1935- 2022) par René Noël
La gloire du vaurien (1964) et Apnée, autobiographie (2008), celui-ci, très beau portrait au-delà, tombeau de son éditeur, Christian Bourgois, le premier opus et ce dernier livre publié par René Ehni, exposent ce qu'il aura récusé très vite, devenir écrivain devant l'éternel, scribe muet et splendide, frustrant ses lecteurs bien moins libres d'esprit que lui, aimant le beau style. Entre les deux, Algérie-roman, 2002, écrit le comment du pourquoi la satire mordante a été l'antipoison, les traversées des feux de la Saint-Jean, les nuits d'hypnos, les années de chien et autres maîtres anciens, soit le ton juste de ces générations nées avant la seconde guerre mondiale.
Acteur, écrivain de pièces radiophoniques, voyageur en Italie où il se lie à Moravia, entre autres vies, bercé par les meilleurs crus d'occident si j'avais encore des ancêtres..., ha dieu si j'eusse étudié..., il aura été cet orateur scripteur rabelaisien si rare sous nos latitudes - Aristophane, Villon, Guyotat satirique, cousin d'un Gadda - style qu'il aurait pu cultiver en contemporain de Novarina. Eschentzwiller, du Sundgau, sud de l'Alsace des environs de Mulhouse, région mythique du Saint-Empire depuis qu'aussi bien qu'en toutes campagnes, les agricultures des chimies ennemies revenues par la bande, ont eu raison des reliefs, des cultures solidaires génératives, à l'exemple des grammaires génératives de Greimas, ainsi que les paysages, collines, vallées, rasées par des engins de chantier, maïs, maïs, maïs ! engloutissant, aussi bien qu'en Chine les barrages des Trois-Gorges, les paysages d'Europe après la seconde guerre mondiale.
À peine lauré, il quitte l'Île de France et Lutèce, retour au bercail, antinucléaire, défenseur des parlers régionaux, avant, par défi, puis se prenant au jeu (!?) de l'orthodoxie, il se fait crétois, avant le coup de feu final, retour au pays natal pour périr bien en temps et en heurts voulus. Deux documentaires, accessibles sur internet, font voir le magnétisme du personnage, haut en couleurs, riche de ses ancêtres, ouvriers, cultivateurs, juifs, tziganes, la première vidéo exposant le jouisseur impénitent au charisme qu'il malmène, et dont il semble tirer les meilleurs jus, de ceux que les vendangeurs savourent à peine la journée de cueille achevée, lui dont les parents ont eu quelques pieds de vigne, bien avant l'invention d'un commerce futile de millésimes indexant la vigne sur le marché, et l'invention de l'adduction et de l'épuration d'eau, le vin coupé d'eau afin de conjurer les typhoïdes et autres maladies foudroyantes.
Son mariage en Crète, ce n'est pas moi qui suis parti, c'est le Sundgau qui s'est déplacé ici... dit-il en substance à ses interlocuteurs, étudiants nancéens qui font le voyage pour le filmer au pays du Minotaure que Homère et les historiens grecs disent ingouvernable - les crétois n'ont-ils pas au milieu du 20ème siècle retardé les armées ennemies du troisième Reich lancées vers Moscou ? - entre toutes contrées d'Égée, René Ehni tout aux préparatifs de son mariage leur montrant une photographie de son village du Sundgau, affichée à son mur. Ehni, dans ce qui pourrait sembler une reddition aux rituels de l'orthodoxie, trône toujours rebelle, proche d'un Blaise Cendrars et Cie, Cingria et d'autres contradicteurs vaudois fameux, par sa faconde et son imagination, aussi à l'aise avec ses nouveaux commensaux crétois qui semblent l'avoir toujours connu, qu'avec ses amis d'enfance. Ses archives en cours de décryptage nous diront la suite...