Michel Valprémy (1947-2007) par François Huglo

Les Célébrations

Michel Valprémy (1947-2007) par François Huglo

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               Michel Valprémy fut, avec Lucien Suel, Jean-Pierre Bobillot, Michel Ohl, l’un des premiers « Contemporains favoris » de la collection créée par Didier Moulinier sur le modèle « petits classiques Larousse ». Depuis sa disparition en 2007, ses Amis se sont retrouvés chaque année dans la maison qu’il partageait avec Claude Martin à Villegouge, près de Fronsac, pour œuvrer à l’édition d’Agrafes à l’Atelier de l’Agneau (recueil des textes parus en plaquettes agrafées), puis de Compost dans les éditions Les contemporains favoris (textes parus en revues), enfin des quatre tomes du Journal, édité par l’association des Amis, et de ses 50 dernières pages calligraphiées et illustrées ou plutôt enluminées. Après deux années d’interruption imposées par la pandémie, les  Amis de Michel ont été accueillis par Sylvie Nève à La Mathévie, Saint Julien de Lampon qui, sur l’autre rive de la Dordogne, fait face au Carlux de son enfance. Avant les lectures, en solo ou dialoguées, de divers textes de Michel, l’évocation qui suit ne prétendait pas à l’étude, ne visait qu’à l’esquisse d’un rapport à la musique à travers quelques souvenirs de conversations récurrentes.

 

 Michel en musique

 

            « Nous avons dit souvent d’impérissables choses ». Pas mal, ce vers de Baudelaire, (Le Balcon). « Choses » fait très verlainien, « impérissables » plutôt Gautier, auteur de « Le Club des Haschischins » dans les « Nouvelles musicales » dont Michel m’a offert le recueil au printemps 2001, en clinique, quand j’étais opéré du poumon (gauche, évidemment). Chacun de nous garde le souvenir de ces « impérissables choses » échangées, « souvent », avec Michel, en particulier à propos de cette « chose » à la fois la plus fugitive et la plus impérissable qu’on appelle musique.

 

            Callas et Françoise Hardy. Boulez et Barbara. Pas plus qu’il n’a été soixante huitard, pas plus qu’il n’a écouté Salut les copains, les Beatles, Pretty things, dont je parlais plutôt avec Guy Ferdinande ou Jean-Pierre Bobillot, Michel n’a été groupie de Sollers, qui considérait la musique comme achevée après Mozart, et jugeait Venise nulle et non avenue quand elle était vue à travers le XIXème siècle romantique. Michel, que cette Venise faisandée ne rebutait pas, au contraire, n’a pas été « baroqueux », bien que Bach ait occupé pour lui la place centrale dans l’histoire de la musique. N’a-t-il pas rencontré Claude lors d’une audition de la Passion selon saint Matthieu, au cours de laquelle Martin a partagé son manteau ? Bach dans l’irrévérence et l’espièglerie : dans 7 impasse Gigogne, l’Alleluia de la cantate 51 devient, chanté par un personnage appelé « la salutiste »,  « Su-uspendez-vous à la ba-a-arbe de Dieu, Su-u-u-u-uspendez vous…». Un danseur et professeur de danse classique ne pouvait-il se mouvoir que dans le classique ? Pas si simple, bien que « classique » renvoie à Gide, l’un de ses auteurs cardinaux. Michel le rejoint dans la réticence vis-à-vis de ce qu’il peut y avoir de « rhétorique » chez Beethoven, ces arborescences que l’on peut apprécier mais auxquelles Gide opposait l’art de la litote d’un Chopin qui, pour Michel, serait plutôt debussyste. De Ludwig van, Michel a écouté en boucle la Missa solemnis qui le tenait en lévitation, ou quasiment, au cours d’une période mystique et cloîtrée dans l’obscurité. Claude (Debussy) serait-il « le » compositeur de Michel après reconquête de la lumière ? Ses préludes et « pour le piano » nous réunissaient, comme le piano de Liszt et celui de Ravel, mais Michel n’a jamais pu admettre ma difficulté d’entrer dans Pelleas. « Je te l’aurais bien offert, mais tu ne le méritais pas », m’a-t-il dit un jour. Il est vrai que cet opéra unissait Debussy à Maeterlinck, autre grand modèle pour lui. Mais nous nous sommes retrouvés à l’unisson sur l’enregistrement historique, un pur joyau dont il m’a offert le CD, de Régine Crespin avec l’orchestre de la Suisse Romande dirigé par Ernest Ansermet, qui faisait suivre une insurpassable interprétation des Nuits d’été de Berlioz de morceaux choisis de Poulenc, Ravel et Debussy : Trois chants de Bilitis. Debussy et Pierre Louÿs, autre référence majeure de Valprémy.  

 

            Réticent au prêt à porter sollersien, Michel ne l’était pas moins aux postures dégoûtées (comme dirait Satie) de musicologues ou critiques de bon goût mettant un point d’honneur à mépriser Rossini, Tchaïkovski, Puccini ou Massenet. « Rossini, ce n’est pas de la musique », ai-je entendu dire. Dans l’air de Rosine, répondait Michel, aucune vocalise n’est gratuite. Un bon point, ici, pour Guy Ferdinande qui rapprochait Massenet de Puccini. J’ai pu vérifier sur pièces, Michel m’ayant prêté les vinyles de Tosca, Cendrillon, et Werther, qu’il citait en chantonnant, dès qu’il arrivait chez nous à Lugaignac, « Alors c’est bien ici la maison du Bailli ? ». Il ne dédaignait pas non plus Offenbach, La belle Hélène, « l’homme à la pomme, ô ciel ! ». Mais les deux compositeurs que nous avons partagés le plus souvent, avec la complicité la plus grande, ont sans doute été Berlioz et Bizet. Michel m’a prêté les Mémoires d’Hector, véritable écrivain et humoriste, et en CD La damnation de Faust par Munch, je l’avais par Markovitch, nerveuse, mais avec une Marguerite trop matrone dans l’air « D’amour, l’ardente flamme », l’un des points culminants de l’univers lyrique de Michel. Il m’a offert le Te Deum  par Abbado. Psychédélique, surtout à la fin. Michel dirait plutôt « paroxystique », comme il disait à propos de Richard Strauss, tant pis pour le classicisme gidien.

 

            Et la chanson, dans tout ça ? Pas plus que Prigent à l’orée d’un mémorable numéro d’Europe, Michel ne l’a dédaignée. Certes, il n’a jamais été le zazou tardif, voire attardé, qu’ont été, comme Cabu (Cabu et moi, si je puis me permettre), de nombreux fous de jazz et, par extension, de Mireille, Sablon, Pills et Tabet, Django et Grappelli, Charles et Johnny, Ray Ventura, Georges Brassens. L’obsession de Michel Legrand, que ça swingue, n’était pas la sienne. Il préférait que ça le bouleverse. La mélodie comme consolation de l’inconsolable. Il citait souvent « Sur les lagunes », ce lamento des Nuits d’été de Berlioz : « Mon âme pleure et sent / Qu’elle est dépareillée ». On se souvient de la Venise de L’appartement moutarde : « Hébétés, ses deux acolytes l’entendront alors chanter mezza voce un air du vieil Ambroise Thomas : "C’est là que je voudrais vivre, aimer et mourir" ». Et plus loin : « Quand mes compagnons me retrouvèrent, je chantais —paraît-il—, en larmes, devant le cadavre pourri d’une barque éventrée ». Le bouleversaient (pour revenir à la chanson) ces cinq mots de Ferré dans « La mémoire et la mer » : « Comme on pressent l’entrevoyure ». Et tout Barbara. Il a défendu, et il avait raison, Véronique Sanson dont le vibrato m’avait d’abord gêné. De Françoise Hardy, il aimait tout : les textes, la personne, le personnage, l’interprète. J’aimais aussi, mais étais plutôt France Gall. Gainsbourg ne l’emballait pas. Jean-Pierre et Sylvie en étaient plus friands. Sans oublier Michel Ohl dont le tiercé gagnant : Trenet, Brassens, Gainsbourg (il les connaissait sur le bout des doigts) reste le mien. La conversation continue avec ces deux Michel, à travers leurs lecteurs et bons entendeurs, salut à eux. Salut les copains.