POUR CLAUDE OLLIER par Christian Rosset
Claude Ollier s’est éteint le samedi 18 octobre 2014 au matin. À l’heure où il aimait contempler longuement, immobile, le mouvement des nuages d’Ile de France – les merveilleux nuages…
Quarante ans auparavant, ou presque, après lecture d’Our ou vingt ans après, le septième livre de la suite qui ne s’appelait pas encore Le jeu d’enfant, je lui avais envoyé (le 27 janvier 1975) une lettre pour lui proposer de faire quelque chose, de musical, mais pas seulement, à partir de quelques fragments (“les plus mallarméens” dira-t-il, non sans faire preuve d’auto-ironie) de ce livre. J’avais alors 19 ans. Il m’avait répondu (de Marrakech, le 12 février 1975) que cela lui faisait plaisir. Je lui avais alors envoyé une partition (qui ressemblait à une carte géographique) qui l’avait intrigué.
À la fin de l’été 1975, Claude Ollier s’est installé dans une maison, à Maule dans les Yvelines, non loin de là où Marguerite Duras (un des écrivains de son temps qu’il respectait le plus) avait écrit Le Vice consul et filmé Nathalie Granger. Cette maison, où j’ai été convié à séjourner alors qu’elle était encore en travaux, a été, pendant près de quarante ans, un lieu d’échanges – d’apprentissage – bouleversant. Y pénétrant l’autre jour, presque comme un chat, pour lui rendre un dernier hommage entre intimes, j’ai ressenti le besoin d’y revenir en compagnie d’une personne qualifiée pour la photographier jusqu’aux moindres détails, tant elle est partie prenante de son œuvre : maison-autoportrait, si l’on veut, qui pourrait bien devenir un sésame pour entrer dans son univers littéraire (le début d’Une histoire illisible le marque clairement). Dans cette maison de Maule, Claude a vécu le plus souvent seul et a écrit tous ses livres à partir de Marrakch Medine.
Cette longue suite d’échanges, sinon quotidiens, disons plus que réguliers, m’a confirmé la justesse de l’élan initial : je n’ai jamais rencontré depuis quelqu’un d’aussi singulier, d’aussi secret, d’aussi radical, d’aussi attentif. D’où ma révolte de voir à quel point les critiques littéraires, salariés ou pigistes de la presse et des médias, n’ont fait, par leur silence, peut-être “respectueux”, mais surtout lâche à mon sens, que tenir les lecteurs potentiels à distance d’une œuvre qui, pourtant, n’a cessé de gagner en force et en lisibilité (et j’en profite pour remercier, une fois de plus, Marianne Alphant qui l’avait si finement soutenu quand elle travaillait à Libération). Michel Butor a dit, à la fin des années 80, que Claude Ollier était passé, clandestinement, du côté de la poésie (“ses romans sont devenus plutôt des poèmes, c’est très beau”), ce qui avait fait plaisir à ce “rebelle discret”, dissident du nouveau roman dès son deuxième livre et bien plus attentif aux bruits du monde que la plupart de ses contemporains.
Claude Ollier, homme doué d’une énergie incroyable, qui ne voulait pas nous quitter à la première alerte et qui s’était rêvé aussi bien en pianiste qu’en pilote de course, n’est plus. Il faut donc veiller à entretenir sans répit sa mémoire. Écrire sur lui, ou plutôt avec lui – c’est-à-dire en ayant ses livres à portée et le souvenir de sa voix dont j’aimerais qu’elle continue à hanter les ondes, lui qui fut parmi les plus conscients de la force du son. Et souhaiter que ses livres trouvent enfin leur juste place dans toutes les bibliothèques, non pour être enfermés, sacralisés, mais pour être lus et relus.