10 mars
2008
A Piatigorsk, sur la poésie de Jean-Claude Pinson
Le problème du poète ìlyrique", c'est qu'il travaille ante Deleuze, ante Foucault, ante Derrida, ante Perec - ou avec un Derrida tronqué, un Deleuze tronqué, un Foucault tronqué ... Le ìLyrique" travaille avec ce qui précède la période ìstructuraliste" ...
C'est ce qu'écrivait Nathalie Quintane, dans un texte publié ici-même il y a plus de trois ans et devenu assez fameux, Monstres et couillons.
L'auteur de Jeanne Darc y dénonçait, tout en en raillant les faux ressorts, la partition du champ poétique français en deux catégories bien repérées, lyriques vs formalistes. Elle en exhibait les dessous idéologiques tout en resituant à leurs places, meilleures, c'est-à-dire au sommet des institutions reconnaissantes, les chanteurs enchantés ; tandis que dans les coulisses des centres d'art, errent ceux qui sont allés chercher leur air ailleurs.
Au centre, elle voyait bien Ponge que chacun des camps revendique et s'approprie, ping et pong ; à ses côtés, on peut aujourd'hui placer Philippe Beck.
Jean-Claude Pinson, qu'il ait lu ou non le texte de Quintane (?), reconduit cette partition depuis le camp lyrique, vu désormais comme celui des Sages vs les Fous (ou ceux qui habitent vs ceux à bites ?), à ceci près qu'il a lu tous les grands de la période structuraliste auxquels il ajoute Barthes, le dernier Barthes : plus vieux, plus sage, plus démocrate.
Et Antonio Negri, Agamben, Bataille, Prigent et Beck, beaucoup d'autres (sauf Gleize et Meschonnic).
Son livre, avant de reconduire la familière nanomachie hexagonale et de finir sur un bien déférent hommage à Yves Bonnefoy, démarre très très fort : dès le titre, il renverse la cloison qui sépare le récit de l'essai, une cloison ordinairement solide ; partant d'un déplacement, (espéré dégagement), hivernal en Russie et d'une lecture de Lermontov, il donne l'espoir de nous emmener très loin, très haut. Penseur et pédagogue séduisant, il attrape le monstre avec des miels si reconnus qu'il pourrait presque succomber au charme suivant, c'est le Bouquet (Stéphane) :
Et pourquoi les oiseaux, les petits, sont-ils parmi les plus grands pourvoyeurs de joie ?
Un très léger déplacement de l'adjectif, un poète sacré grammairien et nous voilà par un Pinson, refaits !
Sauf qu'en matière d'oiseaux, nous connaissons, nous aimons (nous aussi capables d'amour), nous préférons les Zozios de Jacques Demarcq : l'ironie magnifique du traducteur de Cummings ne l'empêche pas de chanter en moderne ET penser, son dégazouillement n'est pas pollution sans éthique.
De même, les livres de Patrick Beurard-Valdoye sont-ils des célébrations de l'existé ou des brûlots nihilistes ?
Portrait d'une Dame d'Alain Frontier est-il un hymne courtois ou une vocifération bruitiste ?
Les livres les plus marquants de ces dernières années, dépassent les oppositions stéréotypées de l'arrière-train contre l'avant-garde et les trois poètes que je viens de nommer, mangent tous les ateliers. Les romans de Desbiolles, Caligaris ou Lucot me semblent plus relever de l'art que les poèmes de Philippe Jaccottet, par ailleurs grand traducteur de Musil : Baudelaire n'a-t-il pas nommé Poème Les misérables et Nicolas Gogol ses Ames mortes ?
Ce serait toutefois injuste (et facile) de ne voir dans l'ouvrage de Jean-Claude Pinson qu'un livre trop rangeant. Et de faire savoir tout ce que rangeant comme devant, il ignore.
Outre les plaisirs de lecture qu'il procure, il faut signaler également l'intérêt des questions qu'il soulève, particulièrment celle du développement du poétariat : Jean-Claude Pinson est, à ma connaissance, le premier à tenter de penser (et non de déplorer) ce phénomène très actuel de la prolifération des poètes.
C'est ainsi que l'auteur du Drapeau rouge, n'évacue pas, loin de là, le politique :
... est-ce qu'il n'y a pas de la grandeur aussi dans le refus de l'héroïsme littéraire ? De la grandeur dans la recherche d'une vie poétique au quotidien, déprise des hauteurs et des abîmes, mais attentive comme dit Thoreau, "à avoir action sur la qualité du jour".
Ce sera poéthique si notre constitution comme poétariat, centre de prétention, ne nous empêche pas de voir un prolétariat qu'on ne peut même plus voir, condamné et parqué dans nos centres de rétention puis exclus violemment du pays.
C'est ce qu'écrivait Nathalie Quintane, dans un texte publié ici-même il y a plus de trois ans et devenu assez fameux, Monstres et couillons.
L'auteur de Jeanne Darc y dénonçait, tout en en raillant les faux ressorts, la partition du champ poétique français en deux catégories bien repérées, lyriques vs formalistes. Elle en exhibait les dessous idéologiques tout en resituant à leurs places, meilleures, c'est-à-dire au sommet des institutions reconnaissantes, les chanteurs enchantés ; tandis que dans les coulisses des centres d'art, errent ceux qui sont allés chercher leur air ailleurs.
Au centre, elle voyait bien Ponge que chacun des camps revendique et s'approprie, ping et pong ; à ses côtés, on peut aujourd'hui placer Philippe Beck.
Jean-Claude Pinson, qu'il ait lu ou non le texte de Quintane (?), reconduit cette partition depuis le camp lyrique, vu désormais comme celui des Sages vs les Fous (ou ceux qui habitent vs ceux à bites ?), à ceci près qu'il a lu tous les grands de la période structuraliste auxquels il ajoute Barthes, le dernier Barthes : plus vieux, plus sage, plus démocrate.
Et Antonio Negri, Agamben, Bataille, Prigent et Beck, beaucoup d'autres (sauf Gleize et Meschonnic).
Son livre, avant de reconduire la familière nanomachie hexagonale et de finir sur un bien déférent hommage à Yves Bonnefoy, démarre très très fort : dès le titre, il renverse la cloison qui sépare le récit de l'essai, une cloison ordinairement solide ; partant d'un déplacement, (espéré dégagement), hivernal en Russie et d'une lecture de Lermontov, il donne l'espoir de nous emmener très loin, très haut. Penseur et pédagogue séduisant, il attrape le monstre avec des miels si reconnus qu'il pourrait presque succomber au charme suivant, c'est le Bouquet (Stéphane) :
Et pourquoi les oiseaux, les petits, sont-ils parmi les plus grands pourvoyeurs de joie ?
Un très léger déplacement de l'adjectif, un poète sacré grammairien et nous voilà par un Pinson, refaits !
Sauf qu'en matière d'oiseaux, nous connaissons, nous aimons (nous aussi capables d'amour), nous préférons les Zozios de Jacques Demarcq : l'ironie magnifique du traducteur de Cummings ne l'empêche pas de chanter en moderne ET penser, son dégazouillement n'est pas pollution sans éthique.
De même, les livres de Patrick Beurard-Valdoye sont-ils des célébrations de l'existé ou des brûlots nihilistes ?
Portrait d'une Dame d'Alain Frontier est-il un hymne courtois ou une vocifération bruitiste ?
Les livres les plus marquants de ces dernières années, dépassent les oppositions stéréotypées de l'arrière-train contre l'avant-garde et les trois poètes que je viens de nommer, mangent tous les ateliers. Les romans de Desbiolles, Caligaris ou Lucot me semblent plus relever de l'art que les poèmes de Philippe Jaccottet, par ailleurs grand traducteur de Musil : Baudelaire n'a-t-il pas nommé Poème Les misérables et Nicolas Gogol ses Ames mortes ?
Ce serait toutefois injuste (et facile) de ne voir dans l'ouvrage de Jean-Claude Pinson qu'un livre trop rangeant. Et de faire savoir tout ce que rangeant comme devant, il ignore.
Outre les plaisirs de lecture qu'il procure, il faut signaler également l'intérêt des questions qu'il soulève, particulièrment celle du développement du poétariat : Jean-Claude Pinson est, à ma connaissance, le premier à tenter de penser (et non de déplorer) ce phénomène très actuel de la prolifération des poètes.
C'est ainsi que l'auteur du Drapeau rouge, n'évacue pas, loin de là, le politique :
... est-ce qu'il n'y a pas de la grandeur aussi dans le refus de l'héroïsme littéraire ? De la grandeur dans la recherche d'une vie poétique au quotidien, déprise des hauteurs et des abîmes, mais attentive comme dit Thoreau, "à avoir action sur la qualité du jour".
Ce sera poéthique si notre constitution comme poétariat, centre de prétention, ne nous empêche pas de voir un prolétariat qu'on ne peut même plus voir, condamné et parqué dans nos centres de rétention puis exclus violemment du pays.