COMME DES MARQUE-PAGES GLISSÉS DANS NOS MÉMOIRES, de Muriel Modr par Frédérique Guétat-Liviani

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31 mars
2025

COMME DES MARQUE-PAGES GLISSÉS DANS NOS MÉMOIRES, de Muriel Modr par Frédérique Guétat-Liviani

COMME DES MARQUE-PAGES GLISSÉS DANS NOS MÉMOIRES, de Muriel Modr

 

 

Gaza 2025. Dans une vidéo générée par l’IA, Trump transforme la bande de Gaza en Riviera. Le clip s’ouvre sur l’image d’enfants mis en joue par des soldats. La mention « What’s next ? » s’affiche, l’ambiance change. Une Tesla roule, des enfants dansent, des dollars pleuvent. Trump et Netanyahou boivent des cocktails sous le soleil. Les enfants qui dansent ne sont pas palestiniens.

Depuis la riposte israélienne à l’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas, un enfant palestinien est blessé ou tué toutes les dix minutes.

Les médias nous montrent une Palestine sans perspective, sans passé ni futur, aligne des chiffres, ceux des morts, des blessés, des déplacés, sans nous donner de noms, de prénoms. On nous montre des corps morts, pas de visages vivants.

 

Le livre de Muriel Modr Comme des marque-pages glissés dans nos mémoires offre un tout autre chemin au lecteur. Il ne parle pas d’actualité, il inscrit la guerre d’aujourd’hui dans une histoire, une permanence, accueille dans ses pages la mémoire d’enfants nés à Gaza à la fin du siècle dernier. L’ouvrage s’ouvre sur l’image floue de trois enfants et sur la phrase : « personne ne s’habitue à la guerre ».

Quand Muriel Modr est partie en Palestine en 2003, c’était la guerre. Quand elle y est retournée en 2005, c’était la guerre. Quand l’année dernière, elle a réuni les dessins des enfants qu’elle avait rencontrés dans les Camps de réfugiés à Gaza, c’était toujours la guerre.

 

Muriel Modr est artiste, poète, elle interroge la mémoire, la trace, ce qui reste du passage des êtres, dans les mots comme dans les images. Son travail présenté sous forme d’installations ou de publications mêle créations personnelles et collectives. À Marseille, depuis plus de trente ans, elle travaille avec les enfants des écoles du quartier Belsunce. Elle œuvre aussi avec la Compagnie, un lieu situé dans ce même quartier accueillant artistes et habitants. Elle a auparavant travaillé avec les enfants de la Cité des Pins à Vitrolles, avec ceux d’Argenteuil et tant d’autres...Sa vie d’artiste mêlée sans cesse à son engagement auprès des enfants. Son travail avec les réfugiés de Gaza fait partie de ce chemin jamais interrompu.

 

Dans ce livre-carnet au format italien, toute la place est donnée aux enfants, qui en ont justement si peu sur terre. Sur les pages, leurs dessins sont reproduits ainsi que ce qu’ils en ont dit. Quelques photos aussi, d’eux dessinant, écrivant, jouant. Personne ici ne fait d’art ou de poésie en leur nom, ne donne de leçons morales ou politiques en leur nom, mais le nom de chacun s’inscrit au fil des pages. Un court avant-propos de l’auteure donne des indications concernant les lieux d’accueil et les organisations qui aident au maintien de l’éducation dans les camps de réfugiés. En fin d’ouvrage, l’éditeur apporte quelques précisions sur les réseaux associatifs qui travaillent au maintien de la société palestinienne.

M.M écrit que le temps en Palestine ne se déroule pas. Le temps de la guerre en effet n’est que fracas, brisures, chaos. Réaliser des marque-pages avec les enfants à partir de leurs dessins, c’est tenter un arrêt sur images, un arrêt sur mémoire, arrêts qui s’inscrivent dans leurs vies empêchées. Et pourtant, dans chaque dessin, la vie insiste.

Sur nombre d’entre eux, c’est la guerre, c’est clair : Des chars, des armes à feu, des avions de chasse. Mais sur d’autres, il y a beaucoup d’arbres, beaucoup de fleurs, et des maisons qui tiennent bien debout. Une sieste dans le jardin sous les arbres en paix. Une maison et deux chemins pour s’y rendre : en rentrant de l’école elle n’est jamais certaine de prendre le plus sûr.

La ville détruite n’a pas disparu, elle est à l’envers. Les maisons, les arbres ont la tête en bas, une ligne sépare la feuille en deux, dans la partie haute, tout est à l’endroit, on voit les combats.

Quand il n’y a plus de couvre-feu. Une table et des fleurs, le soleil se lève.

Du linge accroché, des pulls, une robe et des pantalons sur des cintres, tout est bien rangé.

Certains dessins sont plus sombres. D’une tache de café, émerge une silhouette bras tendus.

 

Ces dessins datent de 2003 et de 2005. Que sont devenus les enfants ? Muriel Modr n’a plus de nouvelles, leur trace est perdue.

Depuis, d’autres enfants sont nés, naissent, tentent de grandir, espèrent.

Parce que personne ne s’habitue à la guerre.

 

 

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