15 févr.
2011
Action Poétique n° 202, dossier KURT SCHWITTERS
Présenté par Isabelle Ewig et Patrick Beurard-Valdoye, qui ont également traduit (souvent ensemble) les poèmes et textes en prose inédits de ce numéro de la doyenne des revues françaises, le passionnant et remarquable dossier consacré à Kurt Schwitters établit justement les lacunes de la France en ce qui concerne la réception de l'œuvre littéraire de cet immense artiste.
Agrémenté de photos et reproductions de documents, il questionne et analyse le retentissement trop faible de Schwitters, figure centrale du fameux Narré des îles Schwitters de Patrick Beurard-Valdoye.
Certains des poèmes présentés évoquent le surréalisme provocateur et hilarant d'un Picabia ; les meilleurs, les plus singuliers sont ceux où la pâte sonore a été travaillée très musicalement et les traducteurs ont su trouver de bons échos à ces gestes si enlevés.
Avec l'autorisation des traducteurs (qu'ils en soient remerciés), vous pourrez lire ci-après un texte de Schwitters tout à fait de mise ici puisqu'il concerne la critique :
Sur la valeur de la critique (post-scriptum).
Mon opinion sur la valeur de la critique
(pour l'Ararat)
(KURT SCHWITTERS)
Pour juger de la valeur de la critique, il faut d'abord se demander quel est son but. Doit-elle être un intermédiaire entre l'artiste et le spectateur, ou donner à l'artiste un avis impartial sur l'œuvre dans un but de conseil ; ou encore montrer la valeur de l'œuvre critiquée en lien avec quelque programme politique ; c'est-à-dire : la critique doit-elle transmettre, instruire ou organiser ? Je tiens pour faux l'organisation et la formation, car l'artiste doit rester indépendant de toute influence extérieure à son œuvre même. Il resterait donc comme but de la critique, la transmission.
Pour transmettre, le critique doit connaître l'œuvre de manière approfondie, sa compréhension pour le langage de l'œuvre et sa tolérance doivent être suffisantes, pour ne lire l'œuvre que comme elle l'entend. Sa connaissance de la nature de l'art et des œuvres doit être tellement étendue qu'il décèlera effectivement ce qui est singulier dans l'œuvre d'art.
En outre le critique, pour être compris, doit tenir compte de la culture du lecteur enfin, il doit avoir lui-même suffisamment de force créatrice pour assurer ce rôle d'intermédiaire. La façon dont il s'y prend est son problème ; dans ce cas, il est lui-même artiste et c'est pourquoi on ne peut lui dicter sa conduite. En ce qui me concerne, j'ai une préférence pour une critique elle-même œuvre, c'est-à-dire une œuvre analogue à celle critiquée, par les moyens du langage.
La critique n'aura de valeur concrète que si le lecteur ne fait pas que lire la critique, mais va aussi sur place regarder l'œuvre. Selon mon expérience, la compréhension d'une œuvre ne peut venir que par l'observation et l'exercice de l'œil, peut-être aussi en pensant, mais jamais en réfléchissant. Le meilleur critique sera donc celui qui développe la capacité de réception du lecteur, en l'incitant à faire un effort sur lui-même et à laisser l'œuvre agir sur lui.
Je conseille en revanche au profane qui aime l'art, de travailler à ses propres capacités artistiques. Qu'il soit critique à l'égard des critiques. Qu'il contrôle la critique en regardant l'œuvre. Une bonne critique doit pouvoir supporter la comparaison avec l'œuvre d'art critiquée. Et de toute façon, l'observation devrait être la base des considérations du profane sur l'art.
Traduction : Isabelle Ewig & Patrick Beurard-Valdoye
‹ber den Wert der Kritik (Nachtrag). Meine Ansicht über den Wert der Kritik (Für den Ararat), Der Ararat, Hanovre, II, n° 5, mai 1921.
Lach, Band 5 Manifeste und kritische Prosa, p. 87-88. (éd. Dumont verlag)
Agrémenté de photos et reproductions de documents, il questionne et analyse le retentissement trop faible de Schwitters, figure centrale du fameux Narré des îles Schwitters de Patrick Beurard-Valdoye.
Certains des poèmes présentés évoquent le surréalisme provocateur et hilarant d'un Picabia ; les meilleurs, les plus singuliers sont ceux où la pâte sonore a été travaillée très musicalement et les traducteurs ont su trouver de bons échos à ces gestes si enlevés.
Avec l'autorisation des traducteurs (qu'ils en soient remerciés), vous pourrez lire ci-après un texte de Schwitters tout à fait de mise ici puisqu'il concerne la critique :
Sur la valeur de la critique (post-scriptum).
Mon opinion sur la valeur de la critique
(pour l'Ararat)
(KURT SCHWITTERS)
Pour juger de la valeur de la critique, il faut d'abord se demander quel est son but. Doit-elle être un intermédiaire entre l'artiste et le spectateur, ou donner à l'artiste un avis impartial sur l'œuvre dans un but de conseil ; ou encore montrer la valeur de l'œuvre critiquée en lien avec quelque programme politique ; c'est-à-dire : la critique doit-elle transmettre, instruire ou organiser ? Je tiens pour faux l'organisation et la formation, car l'artiste doit rester indépendant de toute influence extérieure à son œuvre même. Il resterait donc comme but de la critique, la transmission.
Pour transmettre, le critique doit connaître l'œuvre de manière approfondie, sa compréhension pour le langage de l'œuvre et sa tolérance doivent être suffisantes, pour ne lire l'œuvre que comme elle l'entend. Sa connaissance de la nature de l'art et des œuvres doit être tellement étendue qu'il décèlera effectivement ce qui est singulier dans l'œuvre d'art.
En outre le critique, pour être compris, doit tenir compte de la culture du lecteur enfin, il doit avoir lui-même suffisamment de force créatrice pour assurer ce rôle d'intermédiaire. La façon dont il s'y prend est son problème ; dans ce cas, il est lui-même artiste et c'est pourquoi on ne peut lui dicter sa conduite. En ce qui me concerne, j'ai une préférence pour une critique elle-même œuvre, c'est-à-dire une œuvre analogue à celle critiquée, par les moyens du langage.
La critique n'aura de valeur concrète que si le lecteur ne fait pas que lire la critique, mais va aussi sur place regarder l'œuvre. Selon mon expérience, la compréhension d'une œuvre ne peut venir que par l'observation et l'exercice de l'œil, peut-être aussi en pensant, mais jamais en réfléchissant. Le meilleur critique sera donc celui qui développe la capacité de réception du lecteur, en l'incitant à faire un effort sur lui-même et à laisser l'œuvre agir sur lui.
Je conseille en revanche au profane qui aime l'art, de travailler à ses propres capacités artistiques. Qu'il soit critique à l'égard des critiques. Qu'il contrôle la critique en regardant l'œuvre. Une bonne critique doit pouvoir supporter la comparaison avec l'œuvre d'art critiquée. Et de toute façon, l'observation devrait être la base des considérations du profane sur l'art.
Traduction : Isabelle Ewig & Patrick Beurard-Valdoye
‹ber den Wert der Kritik (Nachtrag). Meine Ansicht über den Wert der Kritik (Für den Ararat), Der Ararat, Hanovre, II, n° 5, mai 1921.
Lach, Band 5 Manifeste und kritische Prosa, p. 87-88. (éd. Dumont verlag)