Alimentation générale de Daniel Biga par Marie Cazenave
Au lecteur qui ouvre le nouvel ouvrage de Daniel Biga, Alimentation générale, l’éditeur et poète François Heubourg offre une brève présentation de l’auteur. Celle-ci signale en premier lieu ses affinités avec la Beat generation dont il fut en France, l’une des figures de proue. Sublimant ces premières aspirations, les poèmes réunis ici, écrits à l’âge de soixante-quatorze ans, forment un ensemble apaisé, incitant à un recueillement contemplatif.
Loin d’adopter un langage sibyllin ou symbolique, l’auteur choisit d’évoquer le je-ne-sais-quoi et le presque-rien de son environnement familier. Il donne un titre à la plupart de ses poèmes, renvoyant ainsi le lecteur à des référents résolument ancrés dans le réel. Brefs, ceux-ci croquent sur le vif, oiseaux, fleurs, lumières fugitives ou grattements nocturnes. Mais l’épure de l’écriture semble être moins un rétrécissement qu’un rapprochement. Rapprochement de la perspective d’abord. Arrivé à un grand âge, le poète limite ses mouvements et c’est surtout par le regard que Daniel Biga se promène (et nous avec) partout où ses yeux se posent. Rapprochement affectif surtout car dans ce choix apparaît alors une grande subjectivité, une grande intimité. Chaque évocation ressemble davantage au portrait d’un être cher qu’à une description objective. Chaque pot de fleur devient un ami. Ceci n’est pas sans rappeler quelques prières indiennes chantant le lien très fort qui unissait les Indiens d’Amérique et la nature, mère nourricière digne du plus grand respect, source de toute beauté et de grande sagesse. Peignant l’orage ou la montagne qui l’entoure, le poète se place à leur instar au centre d’une nature plus grande que lui, au sein d’un cycle naturel qui lui offre une transcendance, accessible à chacun d’entre nous. Clin d’œil à sa jeunesse, nous ne sommes pas loin du cosmos de la beat generation.
Au fil des pages, en effet, se mettent en place des effets de résonance entre passé et présent. L’emploi de la deuxième personne et du présent pour restituer l’échange rend la présence d’autrui d’autant plus vivace : seule la non-poursuite du dialogue nous permet de déduire la solitude de l’auteur. Le souvenir, dépassant sa fonction assignée dans le passé se poursuit dans le présent, tandis que certaines expériences sont désormais un effort de mémoire. Les deux temporalités se confondent, s’entremêlent en un jeu constant : « Marcher là-haut aujourd’hui m’époumone / m’essouffle au cœur / me contentant (si je ruse dire) d’en rêver / m’y rendre par la sente des songes/ (c)hanter de mon absence ».
Le poème « qui rase qui ? » confronte dans le miroir matinal le poète à son propre père auquel il ressemble fort : il s’amuse à jouer à cache-cache, à deviner qui est qui. Le style lui-même, bourré de répétitions, de mots valises, d’allusions, d’accumulations cocasses, de jeux de mots fait sourire :
étornnants tornitruants étornissants
tourbillionnants étourtereaux étourterelles
étourdissants détonnants étourneaux.
Pour autant le recueil est fort éloigné de l’album photo ou du musée. Loin de verser dans l’amertume, la tristesse ou le regret qu’on pourrait craindre, le retour sur soi est l’occasion d’un émerveillement et d’un jeu constant. Émerveillement sur la nature mais aussi sur l’homme, Daniel Biga offrant une vision profondément humaniste : « alors que l’être est lumière ouverte / phare universel / chauffage central permanent ».