Au Palais des images les spectres sont rois de Paul Nougé par Roland Pradalier
On a beaucoup remarqué dans Paul Nougé la volonté d’effacer son nom, souligner ses doutes et sa volonté de remise en cause du langage qui le signalaient comme un autre Monsieur Teste, il faut pourtant rappeler à ceux qui croient à une absence d’œuvre, l’existence des 800 pages « Du palais des images » parues chez Allia. Certains artistes visant la disparition de l’ego écrivent et laissent traces.
Nougé habitait dans un palais qui était sa tête. Le visiter était long. C’était un homme fort bien meublé et de grande superficie. Il n’avait pas la volonté de construire une œuvre, de thésauriser sur un capital poétique, ni l’instinct de propriété, pourtant il intervenait, polémiquait, travaillait à purger la littérature des automatismes. C’est grâce à l’effort amical de Marcel Marien que ses textes furent réunis, Nougé préférant la gratuité, pratiquant bien avant qu’internet ne répande les joies du bénévolat, une écriture sans commande, régie par la seule éthique.
Il nous est impossible de tenir l’activité littéraire pour une activité digne de remplir à elle seule notre vie. Ou plus exactement elle nous paraît être un moyen insuffisant pour épuiser cette somme de possibilités que nous espérons mettre en jeu avant de disparaître.
Les centres d’intérêt de Nougé étaient nombreux, bien que situés presque toujours dans le cercle restreint de ses amitiés réelles et par son appartenance au surréalisme belge.
Le palais des images contient les textes les plus amoureux de René Magritte où l’essentiel est dit de ce peintre, on trouvera difficilement meilleurs commentaires que ces exercices d’admiration qui prouvaient que la peinture avait le pouvoir de faire honte au spectateur qui ne la méritait pas. De même l’attachement de Nougé à la musique, vécue comme un moyen de déclencher des états affectifs chez l’auditeur se fixa via André Souris dans des tentatives de composition pour récitant devant provoquer des « successions de charmes tour à tour acceptés, refusés et rompus » tel « parole de femmes sur un petit fond d’orchestre ».
Pour Nougé, au-delà de l’intransigeance et d’un goût du tranchant coutumier au surréalisme, qui firent de lui un critique aigu, il semble que l’écriture fut avant tout une forme d’éthique radicale, excluant les fantaisies du non-conformisme pour préférer les stratégies de la subversion ironique. Bien que l’Umour et la farce ne soient pas absents de sa démarche, comme lorsqu’il écrivit en 1928 à André Gide, une lettre fort polie et fort divertissante, accompagnée d’une sangsue nommée Alissa placée dans un bocal avec un mode d’emploi pour la nourrir.
A ce commentaire surréaliste qui se voulait heureuse impertinence et clin d’œil au personnage d’Alissa de la Porte étroite, Nougé se plaint de n’avoir pas reçu de réponse et adjoint en contrepoint de son ironie, une page du journal de Gide à la même date « Lassitude et supputation de la mort. Depuis longtemps, plus aucun goût pour écrire dans ce carnet. Beaucoup vieilli. Plutôt besogné que travaillé vraiment. »
L’esprit de Nougé s’affirmait comme une volonté de clarté, avançait vers un style sans afféterie, suivant un « modèle intérieur d’intrusion des sciences dites exactes » et ne visait jamais à paraître bon camarade ou en adéquation avec quoi que ce soit d’autre que sa vision nette. Dégraissé de la complaisance, Nougé est un écrivain précis, presque méticuleux qui demande « d’avoir gardé assez de jeunesse mentale pour pouvoir se vaincre encore et renaître ».
La littérature donc comme plaisir, état affectif éthique visant à surprendre l’intelligence en lui présentant ce qui lui est adaptée.
S’enrager ou rester assis ? Voici les interrogations que Paul Nougé, ce quasi-contemporain de 1928 qui fut poète et biologiste rue de Belliard à Bruxelles, et « tête la plus forte du surréalisme en Belgique » d’après Ponge, semble avoir suivies avec obstination, pour avancer toujours d’un pas de côté, et faire progresser le surréalisme scientifique, en expert de la langue précise qui faisait des prises de sang dans le vocabulaire familier.
Et à le lire, un déclic s’opère. Le langage se purge. Ses tics et astuces sont déjoués des fabrications, et le lecteur se retrouve dans l’obligation de se situer face aux autorités du temps et à décider à quelles idéologies il adhère.
Communisme, esthétique, surréalisme, amour ? Beau menu qui attise la faim de lecture.
Tout homme est à la fois notre complice et notre ennemi. Il s’agit de lui faire prendre un sentiment aussi vif qu’il se peut de sa complicité. Ou lui faire vivement sentir qu’il est notre ennemi. Mais il y a un écueil car il lui reste toujours de nous tenir pour négligeable. Aussi, l’important, l’urgent et peut-être, le plus difficile, est d’attirer son attention, de la retenir, au point que de quelque manière il se sente engagé.