Club bizarre de Nathalie Quintane et Stéphane Bérard (2) par Esther Salmona

Les Parutions

04 oct.
2023

Club bizarre de Nathalie Quintane et Stéphane Bérard (2) par Esther Salmona

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Club bizarre de Nathalie Quintane et Stéphane Bérard (2)

Tenir en main le premier ouvrage « solo » d’une maison d’édition, en l’occurrence Pli, est un plaisir vif.

 

Club Bizarre de Nathalie Quintane et Stéphane Bérard, sorti en septembre 2023 est un livre dont le contact visuel et tactile est sobre, et attirant.

 

Le papier de la couverture, beige chaud, recyclé, a un bon grammage, un son doux un peu grave quand on le manipule, un grain, une douceur de derme. Sa tenue permet que les rabats, pourtant assez grands, ne soient pas gênants. On comprend leur taille : ils consolident la couverture tout en préservant sa souplesse à l’ouvrage. Le léger filet à froid rappelle la reliure bradel, anticipe le pli, permet une bonne ouverture. Couplé avec les amples marges de petit fond, la lecture de l’ouvrage n’en est que plus aisée, la mise en page plus élégante. Le papier crème va dans ce sens, dont le son est sur la même gamme que la couverture, les polices de caractère sont sobres, le tout est harmonieux.

 

L’objet est donc bien fait, juste, dans le sens où il a une présence mesurée et une fois dans la lecture, on l’oublie. Belle approche du livre, venant du terrain, et y retournant. Il saute tout de suite dans les mains et permet au contenu de sauter à la figure.

 

La phrase — les textes sont sur la page en regard —, est à rebrousse-sens, agencée de manière très inconfortable, secouante. La geste grammaticale suffisamment chaloupée pour remettre les choses dans une perspective crue, ou à crue, et dans un galop passé à vitesse fois moins 10, le corps s’y engage.

 

Apparente sécheresse des propositions, pas incompatible avec leur longueur. Une lucidité en découle, galop ralenti compris, et, par là, ce qui pourrait s’approcher de poésie, c’est-à-dire ne pas (se) faire de cadeau.

 

La manière de s’intéresser à l’objet, au sens le plus ample, est pongienne. Est politique à plus ou moins retardement. Est politique dans le sens de résistance : l’opposition, l’histoire, l’électricité. Une prédilection pour le miel, la viscosité, l’agglomérat (texte). Ici (texte) comme il est dit (adulte), p.5.

 

Le dessin, en belle page, crisse. Le dessin comme pédagogie « l’air de rien », laisse un trouble, ne joue pas sur le registre du malin : vite fait mais virtuose. Au contraire il laisse la place ou de la place, par une forme d’échelle 1/1 : le trait, sa forme et le temps qu’on imagine qu’il a du prendre à être tracé. Il y a une sourde humilité à l’intérieur. Impossible de savoir, et ce n’est même pas une question, qui du dessin ou du texte provoque l’autre.

 

Une forme d’énigme dans ce livre, étrangement proche, à la limite du point aveugle, nous tourne autour. Dedans, puisque nous avons la clef, la clef c’est le texte, c’est la grille aussi, et le mobile, qui la traverse, c’est le dessin, d’aucuns diraient dessein.

 

Quelque chose apparaît de la définition cruciverbiste, du rébus avec une phrase entière à trouver, de l’énigme avec la solution tressée dans la trame. Pas d’enquête possible pour la résoudre cette énigme, et pourtant enquête se déroulant bien là, sous nos yeux louchent (ou louches) par une voix qui se double. Résolution en un temps record, mais pas sans nous lecteurice, et cela nous leste, et cela soulève aussi toutes les plates de l’armure — nous, vulnérables, à cet endroit-là ? — une à une, d’où la lecture compacte de préférence, pour que l’effet arrive à plein, une sorte de posologie carabinée.

 

Une bombe qui explose lentement et doucement, ça existe ?

 

Cette lenteur d’explosion autorise des grandes vitesses de pensée ce n’est pas antinomique. Ça rebrousse poil, ça fait chair de poule, mais on a le temps de s’en rendre compte. Pas frisson de l’émotion isolée, pas enfouissement dans l’amitié comme dilatation, mais comme acération de tout ce que la langue peut contenir de pouvoir de renversement, de compréhension du poste de travail actif de ceux qui la disent ici. Attention soutenue durant toute la lecture, que je conseille d’une traite et plutôt monogame.

 

Ce travail à quatre mains deux corps deux cerveaux dit l’intelligence — toutes acceptions du terme comprises, étymologie itou — l’intelligence donc, dans et de la distance. Club Bizarre fait étrangement du bien, est franc, prend le lecteur du tout (dessin et texte), pour une personne éclairée, et c’est bon et ça reste dans la durée, « comme l’huile perce toute feuille » (p.46). Objets philosophiques bifides, cartilages à mâcher longuement, trous noirs qui se laissent déployer, il y a là du projectile.

 

 

 

Le commentaire de sitaudis.fr

Éditions Pli, 2023
70 p.
15 €

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