Éloge de la Provocation par Line Bordère
J’ai reçu et lu un livre que je n’aurais jamais dû recevoir ni lire, il ne s’agit pas d’Éloge de la Provocation, florilège jubilatoire et dictionnaire portatif d’Olivier Apert et François Boddaert mais de ...
un livre très, sans doute trop lisible, un page turner à l’intrigue excitante : le narrateur, jeune philosophe résident nord-africain en France (il n’énonce jamais le vrai nom de son pays d’origine dont il fuit les ressortissants et ce n’est pas réciproque, à son grand dam), veut séduire une riche et belle championne de tennis, une russe ; pour ce faire, il gallicise son nom, se teint en blond et met des lentilles bleues.
L’objectif pourrait être pongien (Le plus simple n’a pas encore été dit.), la visée et le tir sont nets comme des aces, il s’agit surtout grâce à la vivacité rythmique et à l’autodérision, de montrer et condamner en la raillant l’exécrable xénophobie ambiante en France (qui n’a pas diminué avec Hollande-Valls).
Malheureusement, ce livre a trop d’humour et n’est pas assez écrit pour séduire les « élites » (le seul procédé travaillé et très efficacement, surtout pour la première occurrence, est la répétition) et semble trop radicalement politique, trop réaliste et cru pour atteindre le lectorat plus large qui regarde La Grande Librairie à la télévision et intéresse les derniers libraires.
Il y a donc un grand risque de flop pour ce livre, aussi déplacé que semble l’être son narrateur, comme ce fut le cas pour Madame Putiphar de Pétrus Borel (cité à la page 94 du livre publié par Obsidiane).
C’est ce qui rend l’entreprise attachante et défendable, c’est ce qui explique (peut-être) le soutien du CNL mentionné au verso.
D’autant que l’auteur s’est fendu de plusieurs articles retentissants dans Libération, dont celui-ci, encore plus incisif par sa juste et périlleuse attaque de la passivité de Christine Angot.
Aiat Fayez est-il un Swift d’aujourd’hui un polémiste, un provocateur digne de nos Anciens Modernes ?
En tout cas, son goût pour la langue anglaise et l’enchantement de son narrateur pour la vie à Londres annoncent peut-être un exil tant le climat en France est devenu délétère, même la provocation n’est plus ce qu’elle a été, trop souvent engluée (écrivent François Boddaert et Olivier Apert dans leur avant-propos) dans des attitudes savamment organisées qui n’entraînent qu’un vague hochement d’épaules, tel que Léon Bloy le prophétisait : « On est fixé dans l’inscrutable sérénité de l’ignominie absolue et le derrière humain, désormais impassible, est devenu semblable à un immense Maëlström pour coup de bottes ».