10 mars
2007
Fini mère de Gérard Haller par Stéphane Bouquet
Fini mère est un livre de deuil presque heureux parce qu'à sa manière, à sa manière de livre, il rend une morte revivante. La mère de Gérard Haller est l'être humain qui meurt dans ces pages, et le livre ne cache rien de son départ - défiguration, plus de visage ni d'yeux, trou, béance, tel est le mal qui l'atteint, comme si la fin était en train de l'avaler, de l'aspirer. Mais cette mort-là, réelle, physique, incalculable, Fini mère lui réserve les petits caractères, tandis qu'en caractères plus gros, et plus libres dans la page, il y a comme l'affirmation d'une suite, d'un futur possible même pour la mère morte, l'audace de dire que, malgré tout, il y a une certaine défaite de la mort et que cette défaite réside dans les mots, dans ce que les mots conservent, dans le ciel qu'ils nous ouvrent encore.
La beauté du livre (une de ses beautés) est que Gérard Haller redonne des mots à sa mère, pas n'importe quels mots, des mots allemands (qui fut la langue de sa mère) qui viennent s'incruster dans le français et d'une certaine manière assurent la survie, les mots Garten, Licht, Blumen, Heim, comme un paysage pour d'autres mots, comme un lieu où peuvent croître Leben, miteinander, Küsse, schön, et même Du / doux. Ces mots-là remplissent leur office : ils ne sauvent pas la mère de la mort, mais ils dessinent un lieu de paroles, un endroit de mille fleurs, où se tenir "embrassés", "ensemble", "nous". Fini mère, au fond, est une proposition de paradis, mais un paradis partageable, entre le fils et sa mère, entre les vivants et les morts. Un paradis étrange, à l'étranger, en étranger, comme la mort l'est aussi.
Si le livre de Gérard Haller est une réussite tenue contre la mort, c'est que l'écrivain ne cesse jamais d'avoir confiance dans le langage, pas tellement dans les phrases à vrai dire, mais dans les mots, parfois presque une phrase (le simple impératif komm) et pourtant encore seulement un mot. Une phrase, c'est déjà un discours, un mot, c'est juste quelque chose là, quelque chose que l'on pose là, dans les choses, quelqu'un que l'on appelle, un nom, komm, viens. Soit le fils appelle :
oh mère vous dites. Mutti ma Mutti
Soit la mère est appelée :
ils disent ton nom maintenant et les mots nus pour t'appeler.
Cette confiance est magnifique que Gérard Haller a dans les mots (nus), dans le langage comme un jardin de mots, un Wörtergarten, mots = comme une enfance où retourner.
Tous les enfants de nouveau enfants.
"les mots pour multiplier la vie", voilà exactement ce que réussit ce livre qui fait entendre le dernier murmure d'une femme, ultime murmure et en même temps essentiel, "c'est la vie la vie", murmure de non-renoncement, phrases de joie. Schön c'était et ça reste, se dit-on en refermant le livre comme si Fini mère parvenait à nous consoler presque entièrement.
La beauté du livre (une de ses beautés) est que Gérard Haller redonne des mots à sa mère, pas n'importe quels mots, des mots allemands (qui fut la langue de sa mère) qui viennent s'incruster dans le français et d'une certaine manière assurent la survie, les mots Garten, Licht, Blumen, Heim, comme un paysage pour d'autres mots, comme un lieu où peuvent croître Leben, miteinander, Küsse, schön, et même Du / doux. Ces mots-là remplissent leur office : ils ne sauvent pas la mère de la mort, mais ils dessinent un lieu de paroles, un endroit de mille fleurs, où se tenir "embrassés", "ensemble", "nous". Fini mère, au fond, est une proposition de paradis, mais un paradis partageable, entre le fils et sa mère, entre les vivants et les morts. Un paradis étrange, à l'étranger, en étranger, comme la mort l'est aussi.
Si le livre de Gérard Haller est une réussite tenue contre la mort, c'est que l'écrivain ne cesse jamais d'avoir confiance dans le langage, pas tellement dans les phrases à vrai dire, mais dans les mots, parfois presque une phrase (le simple impératif komm) et pourtant encore seulement un mot. Une phrase, c'est déjà un discours, un mot, c'est juste quelque chose là, quelque chose que l'on pose là, dans les choses, quelqu'un que l'on appelle, un nom, komm, viens. Soit le fils appelle :
oh mère vous dites. Mutti ma Mutti
Soit la mère est appelée :
ils disent ton nom maintenant et les mots nus pour t'appeler.
Cette confiance est magnifique que Gérard Haller a dans les mots (nus), dans le langage comme un jardin de mots, un Wörtergarten, mots = comme une enfance où retourner.
Tous les enfants de nouveau enfants.
"les mots pour multiplier la vie", voilà exactement ce que réussit ce livre qui fait entendre le dernier murmure d'une femme, ultime murmure et en même temps essentiel, "c'est la vie la vie", murmure de non-renoncement, phrases de joie. Schön c'était et ça reste, se dit-on en refermant le livre comme si Fini mère parvenait à nous consoler presque entièrement.