Henri Lefebvre, Malo suivie   par Jean Daive

Pour changer l’écriture, il faut en changer l’instrument, passer du pinceau à la brosse (Georges Seurat), de la brosse au balai (Joan Miro), du balai au pistolet à peinture (Hans Hartung). Au fond, depuis Paul Cézanne qui écrit la lumière ou depuis Claude Monet qui écrit l’espace, le peintre ne peint plus avec un pinceau, mais écrit la peinture avec un pinceau. Pour changer l’écriture, l’écrivain passe de la narration stendhalienne à la sous-conversation de Nathalie Sarraute, c’est-à-dire à l’inconscient, de l’inconscient au cut-up (William Burroughs), du cut-up aux applications du portable. 

Comment Henri Lefebvre change-t-il l’écriture ? Par le choix d’un instrument qui s’appelle le concept. Les Unités perdues, son premier livre, racontent sous forme d’inventaire les œuvres  détruites, disparues, inachevées. Il est un inventaire des manques : livre récitatif, livre fascinant, il opère comme unité retrouvée. Le deuxième livre qui s'appelle Les Restes est une succession de tableaux où Henri Lefebvre dispose les suppressions effectuées lors de l’écriture de travaux en cours. Les Restes constituent un tout sous forme de listes, de phrases raturées : elles sont ce qui subsiste d’un ensemble auquel l’auteur a retranché une partie.

Malo suivie raconte l’histoire d’un manque de la part d’une femme sans désir. Et le récit sous forme de fragments entreprend de décrire les lourdes obsessions ou les lourdes fantaisies à la fois de Malo et du Regardeur - Percevant. Elle est une taiseuse, elle se livre aux défauts de liaisons et à leur absence -- comme une femme austère, elle se donne à l’incapacité, aux défaillances même quand la fin d’un doigt se pose sur la fin d’un sein. Malo se fait alors bruissement d’elle, elle devient religion tueuse. 

Le Regardeur - Percevant n’est plus qu’un candidat dont le sexe qui veut écrire le désir ne convient pas. Malo suivie est lui aussi un récitatif de désirs, de convulsions, d’érections : c’est une danse de vent. Tel est le concept. Et c’est le vertige.