Ian Monk, PQR (poèmes quotidiens rennais) par Jean-Claude Leroy
Le poète oulipien Ian Monk nous piège dans son dérailleur
Ian Monk était venu à Rennes il y a déjà un certain nombre d’années pour une lecture croisée avec William Cliff. C’était dans une péniche fort adaptée, depuis, l’eau de la Vilaine a coulé sous les ponts. Cependant, le facétieux poète se retrouve en 2018 dans cette même ville pour le temps d’une résidence. De ce séjour à Beauséjour (c’est le nom de la Villa), Monk en retire des notations qui valent leur pesant d’humour et de perspicacité décalée, il sait très bien porter le clin d’œil là où ça pourrait faire aussi bien mal.
08/10/18
Contrairement à Rennes où le soleil se couche lentement sur
le pas grand-chose de nouveau (sauf pour la nouvelle
présence d’un grand rosbif parmi tous ces petits (quoi ?
onglet peut-être), pour que,
justement le sang joyeux dompte l’esprit morose) à Rio
on rêve non mais (pas d’une caïpirinha et surtout
pas d’un chouchen) d’avoir un flingue à soi
comme une chambre, un amour
Pour cela, l’oulipien qu’il est use de ses outils à la manière des écoliers hérités de Queneau, emprunts à diverses œuvres, savamment triturés, ou encore à un site web. Une source par semaine s’ajoute à l’écoute ou la lecture des informations, voilà de quoi faire son beurre. Sans compter un art de la juxtaposition déroutante qui met du sel dans la préparation. Les notes quotidiennes de Ian Monk sont savoureuses sans être sucrées, elles accrochent toujours quelque part, traduisant une désinvolture provocatrice, un pragmatisme de vieux sage passablement nihiliste. Un mélange de conformisme de la pensée, finalement, et de grincement de dents qui énerve. C’est tout un art de piéger ainsi son lecteur, qui ne demande qu’à être stimulé, l’art de celui qui déraille pour mieux progresser vers on ne sait quoi.
22/11/18
Si tu prends le monde comme il vient, il te
prendra doucement (par derrière ? décidément…) alors que l’univers des
« incels » se propage (et la tour de Pise se redresse
(grâce au viagra ?) on me
poursuit (quant à moi) avec ardeur mais ai-je envie
de me faire prendre par une meuf servant mon corps
à bouffer jusqu’à ce qu’il reste plus qu’
une dent dans son mixer ?
On retrouve dans ces lignes des personnages rendus familiers par la médiatisation, donc quasiment irréels, les Tarik Ramadan, Donald Trump, Robert Faurisson (du beau linge, en effet !!), ou encore des clichés renforcés à l’envi, jusqu’à en rire. Ainsi le chouchen est décliné d’un bout à l’autre du livre, et la bombarde pas oubliée.
Si la poésie est faite pour oser précipiter les images-idées autant que les situations, mettre en boite avec surprise, ne rien rendre dans l’état où on l’a trouvé, alors Ian Monk en est assurément un maître. Et il faut le découvrir pour mieux le lire. Et lire encore, et tout voir ensuite différemment.