Phrases de la mort de Jean-Pascal Dubost par Jean-Claude Leroy
Déphraser la mort, avec Jean-Pascal Dubost, poète exhaustif
Rarement dans un livre la mort n’aura été autant à la fête, elle est ici en foule, et pour chacun sujet du plus haut intérêt, le seul. Ouvertement, on ne se cache pas d’aimer la mort, ni d’en avoir peur ; puisqu’elle nous mène par le bout du nez, pourquoi ne nous attirerait-elle pas comme un aimant attire et adhère ? Infatigable travailleur en poésie, imprégné d’elle jusqu’à la moelle, Jean-Pascal Dubost liste dans ces pages toutes les phrases qu’il a lues et entendues concernant la mort et toutes les phrases que ces phrases lui ont inspirées, ou que la mort elle-même lui a dictées. C’est une suite de réflexions, de grincements, d’aveu-paniques, d’autodéfenses, avec beaucoup de surprise(s), de hauteur et d’humour, et sans renoncer jamais à mordre dans… la mort. Non plus dans l’humanité de la vie, si mal desservie. Avec toujours une mise à distance au plus près des mots, puisqu’il a été dit par ailleurs que « le mot, c’est la mort sans en avoir l’r » 1. Bien dire pour voir et voir pour être si volontiers aveuglé, à souhait.
« […]
Ne sachant rien de la vie, la mort m’en dira plus peut-être.
La mort est une répartition secrète de nos particules abstraites dans le prolongement infini du non-être inclus dans l’être.
‘‘Finir est le verbe que j’aime le moins. Mourir me dit déjà plus’’ (Michel Schneider).
Si on commençait par la mort qui n’en finit pas ?
Heureux les morts-nés, qui n’auront connu que la mort.
‘‘Nous mourons si vite, si tôt, si lâchement, dans des tâches qui ne valent rien’’ (Pascal Quignard).
‘‘Mort à jamais ?… qui peut le dire…’’ (Marcel Proust).
Le paradoxe de la mort est de nous faire aimer la vie en nous attirant vers elle.
[…] » 2
Voir là, au débouché de longues pages anthologiques et vives, sous l’étiquette « Envoi », cette poignante litanie adressée aux humains, en un procès implacable et bouleversant, où l’on constate encore que derrière l’esprit un rien systématique se cache et se découvre l’émotion et le désordre, pour ne pas dire l’extrême conscience.
« […]
Humains, le serons-nous par-delà la mort ;
Humains, vous n’êtes pas mes semblables ;
Humains, mes semblables, mes frères, ce sont les animaux ;
Humains, j’aurais aimé vous aimer, tous ;
Humains, je n’ai aimé que quelques personnes ;
Humains, la mort ne réconcilie pas les humains ;
Humains, j’espère ne pas vous y croiser, seulement quelques-uns ;
Humains, je ne peux être votre ami, qui massacrez les humains, qui massacrez les animaux, qui massacrez les forêts ;
Humains, je ne suis pas des vôtres ;
Humains,je le serai encore moins une fois mort ;
Humains, j’ai été massacré des milliards de fois, affamé des millions et des millions de fois, torturé des millions de fois, par vous, humains ;
[…] » 3
C’est la force de l’écriture persistante de l’auteur de Phrases de la mort que de traquer jusqu’à l’os le corps de la chair et lui faire au besoin rendre gorge. Ne cherchons pas de scories dans ce livre, de sa propre main l’auteur a tout recyclé par avance, n’a rien laissé passer ni le dépasser. Nous y revenons sans cesse.
Dans une « lecture » donnée en guise de postface François Bodaert resitue le travail de Jean-Pascal Dubost dans une lignée : Rabelais, Villon, Marot. Il note justement combien, dans ses livres « la verve fantaisiste le dispute à la satire et l’humour mélancolique ». Cependant, veillons à ne pas limiter l’auteur de ce livre à ces sources canoniques, car les influences qui le traversent sont réellement multiples et multiformes, et son talent aussi. De quoi déconcerter à l’occasion, et de quoi revenir vers lui, et le lire encore.
1Cf. Michel Arrivé, Les remembrances du vieillard idiot, Flammarion, 1977.
2Jean-Pascal Dubost, Phrases de la mort, p. 67-68.
3Op. cit., p. 165-166.