Ici dans ça de Mathieu Brosseau par Jean-Patrice Courtois
Ici dans ça propose une poésie du sujet, mais on ne trouvera pas le sujet sauf en stroboscopie, un autoportrait mais on ne trouvera pas de portrait autofactif sauf en « nous » et même en nous res publica, un soi mais c’est un « çoi » qui rit et pleure, un ici mais il n’est pas là où il devrait être, c’est-à-dire en son fermé de pulsions animé par le couple récidiviste et sans morale « vie et mort » (le « çaction » dans la langue de Mathieu Brosseau) et couple qui agite ses vagues de mouvement et son vague de pensée qu’il faut mixer et transformer en dynamique, en mouvement de naissance — le livre, enfin, nous propose du « lyrique », mais la lettre du lyrisme est « barrée » de tous les côtés car ouverte à tous les côtés du ça, qui est lui poids du monde et mouvement perpétuel de l’extérieur venant cogner au « poids d’os » des intériorités qui forment le cri qu’on entend depuis des « phrases [ qui ] diront sans dire ce récit sans récit ». Mais toute cette négativité est tendue vers la révélation d’une naissance et d’une sortie qui s’appuient tous deux sur une expérience d’années trouées de ce difficile qu’on ne dit que peu (sauf Mathieu Brosseau dans un entretien avec Florence Trocmé).. Une histoire en forme de fiction essaie de se faire en langue, non de se dire en mots, et un autre interstice entre ici et ça essaie de trouver son dans. L’ordre de l’essai appartient au livre, à sa rigueur de conte rendu. Non pas conte parce que tricherie il y aurait, mais parce que le monde et le symbolique ont des dents nées avant l’origine du sujet. Le loup du ça a mangé dans l’ici avant la naissance de l’agneau. Donner ces dents-là à mâcher aux phrases n’est pas de tout repos. Non pas essai parce que la tentative s’évalue, mais parce que essai veut dire pensée qui traverse et se laisse traverser. Il n’y a pas de genre, de sexe, il n’y a pas d’ordre ni de règle pour cette traversée, il n’y a que de vieux mots (cri, pardon, issue, identité, honte — « Et bien il paraît que ta honte, elle se présente derrière les mots comme une araignée coupée, son mouvement a l’air d’une individualité. »), et ces vieux mots prennent en écharpe les jeunes mots, en nombre, pour rappeler les droits du zéro, soit les droits de ce qui échappe à la symétrie, à la possession, mais seulement le temps du compte tenu du zéro. Car on n’a, dans ce livre, « rien à redire à la pensée atomiste, sinon qu’elle n’a rien compris à la chaîne des zéros perdus ». Ici dans ça est un livre qui glisse le zéro entre ici et ça, entre soi/çoi et ça/l’extérieur le temps de sa construction qui découvre que le sujet lyrique est toujours quelqu’un d’autre. Entre le singulier « intime » (qui ne s’avoue pas tel, singulier, intime, oui) et le général « extime » qui déboule sans être appelé, se glisse le zéro, ni singulier ni général, le « nous » qui ne peut être que celui constitué par ceux qui se sentent adressés par ce livre. Le zéro arithmétique doit devenir un zéro démocratique, de la démocratie du un à un. Les répondants de ce livre et qui voudront bien lire que quelqu’un livre en acte son quelqu’un d’autre, lui-même pourtant, et sur la table des langues dites encore poétiques, reconnaîtront que changer pour échanger relève d’une chirurgie délicate, autant douce que violente, autant œuf que boustrophédon. Mais c’est ce que le livre nous demande de penser depuis sa construction en nœud, recherche et dénouement. Et l’on comprend que ce ne peut pas être une berceuse, parce que dans la berceuse, le dénouement est avant le début du chant. Là, il est devant.