La confusion de Faust de Mathieu Brosseau par Aurélie Foglia

Les Parutions

18 avril
2011

La confusion de Faust de Mathieu Brosseau par Aurélie Foglia

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Depuis que l'enfer leur est ouvert de leur vivant, qu'ils s'y penchent pour s'entraîner à la chute, les poètes sont de grands brûlés : têtes brûlées, cœurs suppliciés, corps écartelés par les poussées contradictoires de la pensée. Déjà, Et même dans la disparition (Wigwam, 2010) de Mathieu Brosseau explorait la trame explosive d'une histoire transpersonnelle. Un ange avait accepté le dialogue pour tendre, dans et par le texte, la main sûre qui efface : « C'est l'enfer... ... . pense bien que nous, nous jouons à l'envers ».
Dans La Confusion de Faust, Mathieu Brosseau poursuit son itinéraire (de) descendant, qui le conduit de l'autre côté du miroir. Qu'on se rappelle Rimbaud : « je me crois en enfer, donc j'y suis ». Verlaine lisait Une saison en enfer comme une « prodigieuse autobiographie spirituelle » : La Confusion de Faust fait tournoyer nos repères dans des tourments frères. Car le drame intime du poète exige l'auscultation inquiète d'une époque. À quoi revient la damnation, dans ce monde déserté par ce qui fondait le sujet occidental, essentialité du sujet, unité du monde, caution d'un Dieu panoptique ? Le temps aboutit à une géographie duelle. « ‘ Europe, ô gibet, ô religion politique. Chacun son Occident et sa faute, chacun dans l'idée de posséder sa propre variété de cassures ». Quand la violence latente de la vie resurgit, les images, les procédés, le vieux savoir se refusent. Quelque chose raille la conscience : elle se blesse à elle-même. L'intégralité d'un système se trouve récusé - ses catégories conceptuelles, sa culpabilité première, sa casuistique. C'est à son Orient que le corps se relèverait peut-être de son poids de mort.
Le recours au mythe de Faust, réactivé dès le titre, puis en filigrane (de façon discrète, comme si le lecteur était invité à suivre dans ce labyrinthe un « fil de Faust » pour mieux se perdre), traduit le retour critique du poème sur la tentation moderne de la maîtrise, alors qu'« il fait noir ». Le signe, qui devrait produire des coïncidences, singe à vide, saigne à blanc. Quelle « vraie connaissance » pourrait être dispensée à « l'homme terreux » ? Dès les premières lignes, le poète enregistre un meurtre fondateur : le « cadavre verbal » abandonne chacun à la « grimace des signes ». Voilà les prestiges de la « pâte » à mots impuissants à relancer l'illusion ni la féérie. Reste le grincement du sens. La vérité n'est plus sous garantie : elle se pulvérise. La nostalgie d'une sauvagerie engendre la révolte contre ces codes caducs que la langue, les langues, nous forcent à recracher.
Le poème prenant de La Confusion de Faust apparaît comme une partition, dans tous les sens du terme. - Il désigne d'abord la création comme l'acte originel de la séparation (accomplie par Dieu, par la mère). « ‘ Seigneur : Toi qui communiques avec le monde par le morcellement et qui te partages dans la parole ». Le Fiat lux se fait faille. - Cette partition prend en outre une acception orchestrale, puisque ce texte se distribue en plusieurs voix reliées à personne(s), rendues sur la page par des encastrements de blocs et des modifications de graphies. Une telle confession déchirée de silences revendique le pluriel : la communauté problématique qu'interroge Mathieu Brosseau est d'abord une cohabitation douloureuse du je avec un moi qui est « toi », dans « l'emmêlement des sois ».
Au commencement règne la confusion. Elle est aussi l'issue de la fin. Le dernier éclat sera un rire: loin du « bestiaire des mots » et des « zoos humains », sa prière lucide sacre Satan, prince de l'absence et du plaisir, vin de nuit. Ce « manifeste d'un seul » n'est pas conçu pour laisser indemne. Il offre un dispositif à expérimenter, à ses risques et périls.
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