LA FOLIE BAUDELAIRE de Roberto Calasso

Les Parutions

29 déc.
2011

LA FOLIE BAUDELAIRE de Roberto Calasso

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Dans une fameuse lettre adressée à Demeny en 1871, le même Rimbaud qui a brocardé tant de prédécesseurs à grands coups de formules saisissantes, écrit à propos de Baudelaire qu'il est un vrai dieu. Sur presque 500 pages et sans une note, ce livre est le traité où la théogonie se déploie de façon magistrale, impérieuse, nécessaire et brillante, les raisons de l'adoration y sont livrées de façon très persuasive, des espaces s'ouvrent moins hallucinés mais tout aussi hallucinants que le boudoir de l'hôtel Pimodan. Roberto Calasso déniche des anecdotes inouïes, ose des rapprochements et des détours audacieux, résout des équations inconnues, promène le lecteur dans les textes et les salons comme dans des alcôves où se murmurent des secrets, fait apparaître les anges les mieux dissimulés et les spectres ; à propos des majuscules de Baudelaire dès ses premiers articles, il écrit :

ces majuscules toniques, imprévisibles, de mauvais augure, qui constelleront toujours ses vers

laissant comme un miroir lui renvoyer le compliment : ses adjectifs, ses images sont toujours toniques, imprévisibles comme ici est tonique et imprévisible le de mauvais augure.
C'est vrai lorsqu'il grossit un détail ou lorsqu'il prend une vue aérienne :

Ecrire est ce qui, comme l'éros rend poreuses et fait osciller les cloisons du moi. Et chaque style se forme par campagnes successives sur des territoires d'autrui...

Dans un billet d'adieu écrit à 23 ans, Calasso voit l'empreinte de ce réseau de nerfs et de glorieux non sequitur qui accompagnerait chaque instant de sa future vie.
Mais, ne se refusant aucun registre, il peut aussi bien se montrer simple biographe, presque direct :

Il n'y avait pas d'occasion où Baudelaire se sentît à son aise, dans quelque compagnie que ce fût.

ou bien, en rafales dans les pages suivantes, il saisit
une affinité chimique très forte entre des éléments discordants
un immense expert de l'humiliation
l'homme de l'effondrement, dans le temps et dans l'espace

Il le voit comme personne ne l'a jamais vu regarder Ingres et Delacroix, entendre Wagner et Chopin, il comprend pourquoi il célèbre Guys et dans les dernières pages, Calasso dit Baudelaire devant seulement se soucier de camoufler dans le paysage urbain son immense réserve de pathos.
C'est au dernier chapitre, le septième, intitulé Kamatchka que l'on comprend le choix du titre (le même pour l'édition originale) et cette nouvelle belle charge contre Sainte-Beuve.
Toute l'époque défile, scrutée, pas une bottine ne manque, des images sortent des collections particulières toutes dûment référencées comme les sources, en fin de volume).
Degas n'a sans doute jamais été compris, montré aussi intimement. Ses éventails et son antisémitisme. Celui de Baudelaire en revanche, tel qu'il s'exprime dans la " pensée " suivante :

Belle conspiration à organiser pour l'extermination de la Race
Juive.(XLV, 82).


n'est jamais évoqué, Claude Pichois, contraint à une note dans l'édition Pléiade des O. C., ne voit là que de l'ironie.
Roberto Calasso, qui ne peut pas ne pas connaître ce fragment, n'a donc pas voulu ébranler sa foi en sa divinité, cette puissance autre qui lui permet de nous éblouir avec tant et tant d'images inoubliables, ne va pas sans l'aveugler comme s'aveugle et s'efface Degas dans son cliché de Mallarmé et Renoir.
Le commentaire de sitaudis.fr traduit de l'italien par Jean-Paul Manganaro
éditions Gallimard, 2011
490 p.
28 €50
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