11 mai
2003
La Grammaire du Français d'Alain Frontier.
Avant Sitaudis, c'est-à-dire en la sombre et post-diluvienne fin du XXème siècle, des livres parurent et nombre d'entre eux mériteraient qu'on y revînt : l'actualité, si elle est pléthorique, ne doit toutefois pas nous contraindre outre mesure.
En octobre 1997, un événement est passé presque inaperçu, "La Grammaire du Français" vint à sortir d'une imprimerie de Luçon pour le compte des éditions Belin.
Quelle en a été la réception par les spécialistes? les prédécesseurs de Frontier ayant concocté de la grammaire normative et puriste ou de l'application pesamment structuraliste, n'ont pas dû lui offrir la plus petite tribune, tant les critiques de l'ouvrage concurrent à leur endroit sont solidement étayées : Frontier, contrairement à Wagner et Pinchon (1962) ou Dubois et Laganne (1973) qui se laissent piéger par sens et référents, se situe en permanence sur le strict plan du fonctionnement grammatical. De là, il est indéboulonnable et limpide, il résout les pires difficultés comme celle consistant à classer de façon motivée les accords des noms composés quand tant d'autres manuels renvoient tout simplement aux dictionnaires de langue. Très érudit, très costaud mais pas puriste : il se garde aussi bien de Saussure et de la prééminence donnée par celui-ci à l'oralité, que des intégristes maniaques de la dictée, faisant preuve d'un esprit tolérant et soutenant le réalisme indulgent de l'arrêté Haby de 1976.
Mais cela ne suffirait pas à soulever notre enthousiasme ni n'explique le silence des autres, le silence des écrivains au moment de cette parution. Pour Frontier, la grammaire doit nous servir à comprendre notre langue, notre parole est notre seconde nature, ce par quoi nous nous efforçons de donner sens au monde.
Et parce qu'il est lui-même écrivain, son livre est une enquête où le narrateur suscite autant de sympathie que Rouletabille (même s'il cite plus souvent Leblanc que Leroux), tout en ménageant habilement des temps forts de suspense mais c'est aussi un délicieux florilège de la langue, qu'elle soit parlée, journalisitiquée ou très élaborée comme chez Flaubert ou Proust ; ce sont aussi parfois de magistrales analyses de textes (par exemple, le mouvement du roman "La Princesse de Clèves" dessiné en une phrase, merveille) ou bien une mise en lumière critique de certains travers, voire de certaines tares (l'antisémitisme manifeste dans la scription suivante "les Juifs" où la majuscule fonctionne comme signe d'exclusion) ou encore une très sagace analyse de l'emploi du passé simple dans un discours de Jacques Chirac.
On peut lire ce livre d'un bout à l'autre comme un roman, (où même les passages connus réservent quelques belles surprises), on peut le suivre dans ses propositions ou ne pas supporter, pour résoudre la question de savoir s'il faut écrire "je n'ai pas de cheveux" ou "je n'ai pas de cheveu" (p. 52) d'attendre la page 464 , le chapitre sur la négation.
Objet paradoxal, il s'agit d'un livre passionnant qui sera aussi un outil à disposition d'une grande efficacité, on y piochera au gré des quêtes, des corrections ou des inquiétudes.
Truffée de facéties, de clins d'œil et d'hommages amicaux, la Grammaire de l'auteur du fameux« Portrait d'une Dame » (auteur également d'une grammaire grecque), deviendra au fil des années à venir le Frontier, aussi indispensable aux poètes que le Littré ou le Morier.
En octobre 1997, un événement est passé presque inaperçu, "La Grammaire du Français" vint à sortir d'une imprimerie de Luçon pour le compte des éditions Belin.
Quelle en a été la réception par les spécialistes? les prédécesseurs de Frontier ayant concocté de la grammaire normative et puriste ou de l'application pesamment structuraliste, n'ont pas dû lui offrir la plus petite tribune, tant les critiques de l'ouvrage concurrent à leur endroit sont solidement étayées : Frontier, contrairement à Wagner et Pinchon (1962) ou Dubois et Laganne (1973) qui se laissent piéger par sens et référents, se situe en permanence sur le strict plan du fonctionnement grammatical. De là, il est indéboulonnable et limpide, il résout les pires difficultés comme celle consistant à classer de façon motivée les accords des noms composés quand tant d'autres manuels renvoient tout simplement aux dictionnaires de langue. Très érudit, très costaud mais pas puriste : il se garde aussi bien de Saussure et de la prééminence donnée par celui-ci à l'oralité, que des intégristes maniaques de la dictée, faisant preuve d'un esprit tolérant et soutenant le réalisme indulgent de l'arrêté Haby de 1976.
Mais cela ne suffirait pas à soulever notre enthousiasme ni n'explique le silence des autres, le silence des écrivains au moment de cette parution. Pour Frontier, la grammaire doit nous servir à comprendre notre langue, notre parole est notre seconde nature, ce par quoi nous nous efforçons de donner sens au monde.
Et parce qu'il est lui-même écrivain, son livre est une enquête où le narrateur suscite autant de sympathie que Rouletabille (même s'il cite plus souvent Leblanc que Leroux), tout en ménageant habilement des temps forts de suspense mais c'est aussi un délicieux florilège de la langue, qu'elle soit parlée, journalisitiquée ou très élaborée comme chez Flaubert ou Proust ; ce sont aussi parfois de magistrales analyses de textes (par exemple, le mouvement du roman "La Princesse de Clèves" dessiné en une phrase, merveille) ou bien une mise en lumière critique de certains travers, voire de certaines tares (l'antisémitisme manifeste dans la scription suivante "les Juifs" où la majuscule fonctionne comme signe d'exclusion) ou encore une très sagace analyse de l'emploi du passé simple dans un discours de Jacques Chirac.
On peut lire ce livre d'un bout à l'autre comme un roman, (où même les passages connus réservent quelques belles surprises), on peut le suivre dans ses propositions ou ne pas supporter, pour résoudre la question de savoir s'il faut écrire "je n'ai pas de cheveux" ou "je n'ai pas de cheveu" (p. 52) d'attendre la page 464 , le chapitre sur la négation.
Objet paradoxal, il s'agit d'un livre passionnant qui sera aussi un outil à disposition d'une grande efficacité, on y piochera au gré des quêtes, des corrections ou des inquiétudes.
Truffée de facéties, de clins d'œil et d'hommages amicaux, la Grammaire de l'auteur du fameux« Portrait d'une Dame » (auteur également d'une grammaire grecque), deviendra au fil des années à venir le Frontier, aussi indispensable aux poètes que le Littré ou le Morier.