LA SIRÈNE DE SATAN, présentation et extrait par Pierre Alferi
PRÉSENTATION
Q. Ces deux livres (" Et la rue ' précède le poème-titre) ont en commun d’être récents (2018-2019), d’avoir des titres en capitales qui sont aussi les premiers vers de chaque poème et d’être … des poèmes très militants, heureusement non sans humour.
Acceptiez-vous ce terme de « poèmes militants » ?
Est-ce qu’une telle poésie vous semble plus adaptée au contexte politique actuel que vos ouvrages de fiction publiés chez POL ? Si oui, pourquoi ?
R_ Je vois bien ce que vous dites, mais est-ce que ces poèmes méritent d’être dits militants ? J’en doute. Aucun poème ne peut – ni ne doit – être un soldat. En l’occurrence, ils ne sont pas au service d’une cause d’autant plus abstraite qu’elle serait grande. Ils parlent exclusivement de choses que je vis, que je vois. Le déchaînement de la répression policière, le désastre écologique et l’action corrosive de l’échange marchand sur tous les liens sociaux font partie de ma vie quotidienne. Il s’agit de politique parce que la nécessité comme la difficulté de dire nous sont là. Certainement, ces dernières années, en dépit ou à cause de mon individualisme, j’ai cherché des collectifs non hiérarchiques, autant pour réfléchir que pour agir. Ici, le seul acte militant, peut-être, est d’inaugurer les publications d’un éditeur autonome né dans le mouvement social : Hourra. La sirène de Satan ne ressemble pas à mes dernières publications, encore que la dystopie de Hors sol soit hantée par les mêmes questions. Mais c’est que je n’ai pas composé de livre de poésie depuis quinze ans, alors que je continuais d’en écrire sous la forme de courtes séries. En mars prochain, un volume, divers chaos, en reprendra la plupart chez P.O.L, dont ces deux-là. Et leur forme ne les distingue pas de ceux qui parlent d’algues, d’odeurs, de courses d’obstacles ou d’hygiène intime. Je mentirais donc si je disais que j’adapte délibérément l’écriture au contexte politique. Il pèse lourd sur elle, car il est terrible. Elle essaie d’y survivre sans fuir, sans faire l’autruche. Donc elle y réagit, mais aucun de ses effets n’est sûr.
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EXTRAIT
15 août
DES PELOTONS DE BLEUS EXPLORENT
la ruine récente
fuie par qui a
les moyens l’envie
contagieuse comme
un sauve-qui-peut
j’y suis
un fantôme
travaille avec les travailleuses
consignés les vendeurs
à la sauvette sympathise
avec les patients relâchés
les ados exotiques
raccompagne chacun des vieux
qui roulent dans un tunnel
en verre dépoli
leur boule de mémoire
mais lève
les yeux vers le
dégagement
qui rend la ville
propre à de nouveaux
usages d’utopie
et faute d’en trouver
une libre caresse
l’idée de replacer les pions
à la rentrée
dans le désordre