Le jour est entré dans la nuit, Hubert Duprat par Nicole Caligaris
Rares sont les rencontres entre artistes contemporains de même génération, les rencontres véritablement intéressées, encore plus rares sont les témoignages qui en rendent compte, Nicole Caligaris a su le faire avec la même énergie qui l’anime dans ses fictions et sa propre recherche, ce qui rend ce livre exceptionnel et attachant. Il ne comporte qu’une seule image d’une œuvre d’Hubert Duprat, elle figure en couverture ; il s’agit donc aussi d’un livre d’un écrivain sur des œuvres qu’on ne voit pas, autre extraordinaire singularité (il est toutefois possible de visualiser les œuvres grâce aux sites référencés page 75 à 78). Son apparition dans le paysage éditorial actuel est un événement dont les grands media, qui abusent de ce mot, n’ont aucune idée.
Voici le début du dernier chapitre.
De la lumière
C’est dans le noir que les images montent. La première condition de l’écriture est de produire la nuit, dans une chambre aveugle qui ne laisse pénétrer, par un petit jour, qu’un faisceau de rayons. Ils portent les impressions du dehors, conduites à travers l’orifice selon la droite qui leur fait déposer en haut ce qui partait d’en bas, en bas ce qui partait d’en haut, et c’est ainsi qu’ils projettent, fidèle et inversée, l’image du monde. Hubert Duprat décrit la chose en chercheur : « Je me suis donné — instinctivement — trois interdits lors de mes expérimentations avec la chambre obscure : ne pas la déplacer, ne pas aller au motif, c’est le motif qui vient et après tout peu importe ce qu’il est ; ne pas utiliser les anamorphoses (pourtant présentes sur quatre des cinq faces) n’utiliser que le mur parallèle du sténopé, le seul donc qui n’offre pas de déformations; ne faire entrer personne, ne pas faire le coup de la révélation, ne donner à voir que des photos provenant de l’expérience.» Sont entrées dans l’atelier noir les images de toits par-dessus le ciel, pris à différents moments du jour, dans ce renversement qui rend absurde notre construction de l’espace déterminée par la gravité.
L’artiste a placé, devant les rayons lumineux, des surfaces dont les qualités réfléchissantes ont fait travailler différemment la lumière : une couverture en aluminium, une plaque de verre dépoli et une plaque incrustée de miroirs qui constellent de points lumineux l’image du ciel au pied des toits. C’est un ciel diurne où s’affichent les signes de la nuit. Mais cette nuit glissée dans le jour n’est que l’indice de ce qui s’est vraiment passé : ce qui a produit ces images, c’est que le jour est entré dans la nuit.