03 mars
2008
Le petit livre de Badiou
Nous n'avons pas l'habitude ici de recenser des livres actuels sur l'actualité, qui cartonnent à plus de 20 000 ex ; nous ne pouvons toutefois ignorer plus longtemps De quoi Sarkozy est-il le nom ? parce que ce livre passe dans nos rangs (jeunes et vieux !) et dans quasiment tous les blogs de lycée pour un brûlot subversif d'une exceptionnelle intelligence.C'est dire si l'esprit critique, en quelques décennies, a reculé !
Sans ôter à l'auteur ses réelles qualités, d'écriture et de culture, de mordant et de constance, de générosité aussi dans sa défense du pauvre et de l'étranger, il faut quand même dire que ce roi est nu et qu'il ressemble trait pour trait à tous les « philosophes » qui ont épaulé les pères du peuple et autres tyrans ; plus particulièrement, à la récente mais longue liste des intellectuels staliniens ; stalinien certes lacanisé pour conférencer chic rue d'Ulm mais stalinien via le Grand Mao.
Stalinien, Alain Badiou l'est d'abord par son chauvinisme cocardier franchouillard , avéré dès la page 9 :
En France, puissance moyenne dont on ne voit pas que l'avenir puisse être glorieux - sauf si elle invente la politique qui soustraira le pays à son insignifiance et en fera une référence émancipatrice planétaire ...
Stalinien aussi du fait de son antiparlementarisme acharné, repeint gauchiste (au sens léniniste) 68 sur le fameux refrain « élections piège à cons » : il se vante de ne pas avoir participé au vote contre Le Pen puis contre Sarkozy. Faut-il rappeler que, sur des bases très proches (dont une semblable haine des socio-démocrates, de la clientèle socialiste, p. 31), les communistes allemands, sur ordre de Staline en 1933, contribuèrent à l'arrivée des nazis au pouvoir ?
Stalinien encore dans son sidérant attachement à la pensée de Mao, toujours cité avec jubilation : une seule critique contre le Grand Timonier ( Mao n'y est pas pour rien ... p. 146)
Stalinien dans sa nostalgie des conquêtes des démocraties dites populaires :
Nombre des réalisations de ces Etats "socialistes" ont été remarquables, dans les domaines notamment de l'éducation, de la santé publique ...
(passe encore, il aurait d'ailleurs pu ajouter les transports en commun de toutes sortespuis il conclut :
de l'idéologie quotidienne (valorisation formelle du travailleur ordinaire),de l'ordre public.(p. 145)
Comment ne pas songer au stakhanovisme et aux caves de la GPU ?
AB fait preuve presque partout d'une allégeance au matérialisme historique, science du Prolétariat, et emploie non sans gourmandise le lexique scientifique, les termes d' hypothèse, de théorème, de preuve, d'opération, d'axiome ; dans un grand moment d'assurance scientiste, il réussit à faire passer les défunts Georges Marchais ou Henri Krasuki (CGT) pour des maîtres de scepticisme raffiné, p. 150 :
Comme nous sommes dans une période intervallaire dominée par l'ennemi, et que les expériences nouvelles sont très circonscrites, je ne suis pas en l'état de vous dire ce qu'est à coup sûr, l'essence de la troisième période qui va s'ouvrir. (p. 150)
Il SAIT quand même que nous sommes dans une « période intervallaire » ; si nous n'étions pas dans une telle période, il pourrait donc prophétiser, à coup sûr, l'essence de la troisième.
Il emploie souvent le futur de l'indicatif, multiplie les injonctions et les affirmations : il n'y a qu'une question dans ce livre qui donne toutes les réponses et elle figure dans le (joli) titre.
Le stalinien défend, avec une habile discrétion, des coutumes barbares comme l'excision contre un féminisme vite qualifié d'agressif et emprisonneur (p. 58)
Il nous enjoint dès maintenant de ne pas tout lire (p.68) :
Ne lisons plus, ne regardons plus que ce qui vient d'ailleurs que des circuits commerciaux dominants.
Que va-t-il nous rester ?!
Le stalinien ne rit pas tant l'anime l'esprit de sérieux (il ne faut pas se gausser de la bêtise de Bush p. 16), il aime la vertu de discipline (parce qu'à portée de toutes les bourses), il admire les Chefs, tous les chefs (jusqu'à De Gaulle dont il écrit, p. 31, que sa vertu politique principale ... était de ne jamais avoir peur !!!) mais il connaît bien la peur et la peur de la peur. Le stalinien est un maître en peur. De la haine, il préfère ne pas parler, il a pourtant beaucoup d'ennemis, (les déprimés, les riches, les dominants, les intellectuels serviles, les libéraux et les libertaires, les religieux, les écologistes semi religieux, les socialistes, les nouveaux philosophes et les maoïstes ossifiés ), les pires se voyant représenter en animaux, les rats et les blaireaux (grâce à Blair) ; on se souvient des trotskistes, fréquemment traités de vipères lubriques.
Pensée, concepts, lexique, imagerie, rhétorique, stratégie, névrose et jusqu'au bestiaire, chaque ligne de ce livre est imbibée de stalinisme ulmien light.
Je souris à l'idée que cette caractérisation ne sera peut-être pas un argument opposable (!) à tous ; certainement pas à Badiou lui-même qui défend ouvertement Staline (p. 34) contre les liquidateurs que furent Brejnev et Gorbatchev ! Tout au plus déclare-t-il souhaiter la mort sans phrase de ce référent (p.35)... cela pourrait l'arranger, en effet. Mais, de même que lorsqu'on prononce le nom de Proust dans certains cercles aujourd'hui, on passe pour un frimeur sans qu'aucune association intelligente ou un peu digne ne chemine derrière les expressions réprobatrices, il se peut que le nom de Staline, et les adjectifs attachés, n'évoquent bientôt plus qu'un tyran de plus dans l'histoire et aucun danger présent.
Pourtant, n'est-ce pas un guide bien inquiétant, celui qui s'estime seul en phase avec le vouloir éclairé du peuple, qui clame universellement la discipline d'une vérité et écrit, page 66 :
L'individu comme tel n'est que vacuité et insignifiance.
N'est-ce pas un boutiquier bien cocasse celui qui a créé et dirige le groupuscule autonommé l'Organisation politique ? Remarquons bien l'article défini qui en fait le concept générique de toute une classe ! Sa création est citée sans rire par AB lui-même dans la note 18 de la page 147, comme un événement propre à réinstaller l'hypothèse communiste au même titre et sur le même plan que les deux premières années de la révolution portugaise, la première séquence du mouvement Solidarnosc en Pologne, les débuts de la révolution iranienne et le mouvement zapatiste au Mexique : on atteint ici les parages les plus ubuesques.
Le plus grave, stratégiquement parlant en tous cas, est que ce disciple de Sartre et d'Althusser, n'examine ni ne cite à aucun moment les récentes luttes qui ont fait plier ceux qu'il appelle les dominants ; dans un article du Figaro, daté du 15 octobre 2007, on pouvait lire (à condition bien sûr de s'autoriser à lire aussi ce journal) :
PAS QUESTION de céder à l'ultimatum lancé par les anti-CPE ! Jacques Chirac et Dominique de Villepin sont, plus que jamais, décidés à ne pas retirer le CPE et à mettre ainsi fin à cette malédiction qui veut que, depuis 1986, la droite plie systématiquement devant les manifestations de jeunes.
Rien non plus sur les émeutes de 2005, il n'est question que d'organiser, par des réunions, les traînards des cités.
Qu'en a dit l'Organisation politique ?
Quels liens fait-elle entre les luttes, la rue et les élections ?
Ce sera difficile de le savoir : sur le net, le site de l'Organisation politique est désormais vide, nettoyé, blanchi : autocensuré ou mis, de façon très paranoïaque, à l'abri des investigations ennemies ?!
Ou bien, grâce aux droits d'auteur du best-seller, Badiou est peut-être en train de créer L'événement de la décennie : Le Site de l'Hypothèse.Sans ôter à l'auteur ses réelles qualités, d'écriture et de culture, de mordant et de constance, de générosité aussi dans sa défense du pauvre et de l'étranger, il faut quand même dire que ce roi est nu et qu'il ressemble trait pour trait à tous les « philosophes » qui ont épaulé les pères du peuple et autres tyrans ; plus particulièrement, à la récente mais longue liste des intellectuels staliniens ; stalinien certes lacanisé pour conférencer chic rue d'Ulm mais stalinien via le Grand Mao.
Stalinien, Alain Badiou l'est d'abord par son chauvinisme cocardier franchouillard , avéré dès la page 9 :
En France, puissance moyenne dont on ne voit pas que l'avenir puisse être glorieux - sauf si elle invente la politique qui soustraira le pays à son insignifiance et en fera une référence émancipatrice planétaire ...
Stalinien aussi du fait de son antiparlementarisme acharné, repeint gauchiste (au sens léniniste) 68 sur le fameux refrain « élections piège à cons » : il se vante de ne pas avoir participé au vote contre Le Pen puis contre Sarkozy. Faut-il rappeler que, sur des bases très proches (dont une semblable haine des socio-démocrates, de la clientèle socialiste, p. 31), les communistes allemands, sur ordre de Staline en 1933, contribuèrent à l'arrivée des nazis au pouvoir ?
Stalinien encore dans son sidérant attachement à la pensée de Mao, toujours cité avec jubilation : une seule critique contre le Grand Timonier ( Mao n'y est pas pour rien ... p. 146)
Stalinien dans sa nostalgie des conquêtes des démocraties dites populaires :
Nombre des réalisations de ces Etats "socialistes" ont été remarquables, dans les domaines notamment de l'éducation, de la santé publique ...
(passe encore, il aurait d'ailleurs pu ajouter les transports en commun de toutes sortespuis il conclut :
de l'idéologie quotidienne (valorisation formelle du travailleur ordinaire),de l'ordre public.(p. 145)
Comment ne pas songer au stakhanovisme et aux caves de la GPU ?
AB fait preuve presque partout d'une allégeance au matérialisme historique, science du Prolétariat, et emploie non sans gourmandise le lexique scientifique, les termes d' hypothèse, de théorème, de preuve, d'opération, d'axiome ; dans un grand moment d'assurance scientiste, il réussit à faire passer les défunts Georges Marchais ou Henri Krasuki (CGT) pour des maîtres de scepticisme raffiné, p. 150 :
Comme nous sommes dans une période intervallaire dominée par l'ennemi, et que les expériences nouvelles sont très circonscrites, je ne suis pas en l'état de vous dire ce qu'est à coup sûr, l'essence de la troisième période qui va s'ouvrir. (p. 150)
Il SAIT quand même que nous sommes dans une « période intervallaire » ; si nous n'étions pas dans une telle période, il pourrait donc prophétiser, à coup sûr, l'essence de la troisième.
Il emploie souvent le futur de l'indicatif, multiplie les injonctions et les affirmations : il n'y a qu'une question dans ce livre qui donne toutes les réponses et elle figure dans le (joli) titre.
Le stalinien défend, avec une habile discrétion, des coutumes barbares comme l'excision contre un féminisme vite qualifié d'agressif et emprisonneur (p. 58)
Il nous enjoint dès maintenant de ne pas tout lire (p.68) :
Ne lisons plus, ne regardons plus que ce qui vient d'ailleurs que des circuits commerciaux dominants.
Que va-t-il nous rester ?!
Le stalinien ne rit pas tant l'anime l'esprit de sérieux (il ne faut pas se gausser de la bêtise de Bush p. 16), il aime la vertu de discipline (parce qu'à portée de toutes les bourses), il admire les Chefs, tous les chefs (jusqu'à De Gaulle dont il écrit, p. 31, que sa vertu politique principale ... était de ne jamais avoir peur !!!) mais il connaît bien la peur et la peur de la peur. Le stalinien est un maître en peur. De la haine, il préfère ne pas parler, il a pourtant beaucoup d'ennemis, (les déprimés, les riches, les dominants, les intellectuels serviles, les libéraux et les libertaires, les religieux, les écologistes semi religieux, les socialistes, les nouveaux philosophes et les maoïstes ossifiés ), les pires se voyant représenter en animaux, les rats et les blaireaux (grâce à Blair) ; on se souvient des trotskistes, fréquemment traités de vipères lubriques.
Pensée, concepts, lexique, imagerie, rhétorique, stratégie, névrose et jusqu'au bestiaire, chaque ligne de ce livre est imbibée de stalinisme ulmien light.
Je souris à l'idée que cette caractérisation ne sera peut-être pas un argument opposable (!) à tous ; certainement pas à Badiou lui-même qui défend ouvertement Staline (p. 34) contre les liquidateurs que furent Brejnev et Gorbatchev ! Tout au plus déclare-t-il souhaiter la mort sans phrase de ce référent (p.35)... cela pourrait l'arranger, en effet. Mais, de même que lorsqu'on prononce le nom de Proust dans certains cercles aujourd'hui, on passe pour un frimeur sans qu'aucune association intelligente ou un peu digne ne chemine derrière les expressions réprobatrices, il se peut que le nom de Staline, et les adjectifs attachés, n'évoquent bientôt plus qu'un tyran de plus dans l'histoire et aucun danger présent.
Pourtant, n'est-ce pas un guide bien inquiétant, celui qui s'estime seul en phase avec le vouloir éclairé du peuple, qui clame universellement la discipline d'une vérité et écrit, page 66 :
L'individu comme tel n'est que vacuité et insignifiance.
N'est-ce pas un boutiquier bien cocasse celui qui a créé et dirige le groupuscule autonommé l'Organisation politique ? Remarquons bien l'article défini qui en fait le concept générique de toute une classe ! Sa création est citée sans rire par AB lui-même dans la note 18 de la page 147, comme un événement propre à réinstaller l'hypothèse communiste au même titre et sur le même plan que les deux premières années de la révolution portugaise, la première séquence du mouvement Solidarnosc en Pologne, les débuts de la révolution iranienne et le mouvement zapatiste au Mexique : on atteint ici les parages les plus ubuesques.
Le plus grave, stratégiquement parlant en tous cas, est que ce disciple de Sartre et d'Althusser, n'examine ni ne cite à aucun moment les récentes luttes qui ont fait plier ceux qu'il appelle les dominants ; dans un article du Figaro, daté du 15 octobre 2007, on pouvait lire (à condition bien sûr de s'autoriser à lire aussi ce journal) :
PAS QUESTION de céder à l'ultimatum lancé par les anti-CPE ! Jacques Chirac et Dominique de Villepin sont, plus que jamais, décidés à ne pas retirer le CPE et à mettre ainsi fin à cette malédiction qui veut que, depuis 1986, la droite plie systématiquement devant les manifestations de jeunes.
Rien non plus sur les émeutes de 2005, il n'est question que d'organiser, par des réunions, les traînards des cités.
Qu'en a dit l'Organisation politique ?
Quels liens fait-elle entre les luttes, la rue et les élections ?
Ce sera difficile de le savoir : sur le net, le site de l'Organisation politique est désormais vide, nettoyé, blanchi : autocensuré ou mis, de façon très paranoïaque, à l'abri des investigations ennemies ?!