10 mai
2005
Le projet Sombr'Héros de Joseph Mouton.
Si quelqu'un de l'envergure d'un Walter Benjamin revenait parmi nous, il n'en reviendrait pas et ferait sans doute le pître, chercherait quelques soutiens et finirait par décourager son entourage autant que lui-même, allant jusqu'à paniquer le monde dans l'alternance de phases maniaques et dépressives.
C'est un peu ce qui arrive à mon ami Joseph Mouton.
Sauf que celui-ci est parvenu à sortir de ses états (qu'il subit ou sublime entre Groucho et Keaton), pour nous offrir un livre relatant sa difficile insertion dans le monde actuel et les tourments que suscitent chez un esprit aussi férocement exigeant et cultivé, les processus de l'écriture, la montée des phrases, les devoirs de la création.
IL évoque mieux qu'aucun écrivain actuel (c'est-à-dire avec humour) les basses eaux mentales qui font (sa) saison aujourd'hui et mieux qu'aucun philosophe (c'est-à-dire avec clarté) les questions que soulève...
la structure de la langue, qui est à la fois extrêmement résistante et parfaitement folle dès qu'on lui donne la parole.
Cela débute comme un journal (de 1993 à 2001) mais pas un journal d'adolescent ni de bourgeois ni d'écrivain gallimarrant (voir les hilarants pastiches du début), un véritable journal de héros qui nourrit des projets et que ses projets nourrissent peu ou prou : anorexie/boulime, autre alternance pathologique que ne soigne pas l'écriture.
Même si les pages se défont au fur et à mesure qu'on avance, (bravo l'imprimeur et l'éditeur pourtant soutenus fortement par le CNAP ), le lecteur n'en finit pas de découvrir du nouveau dans ce piétinement défaitiste : il faut d'abord lire cela dans l'ordre et ne pas manquer, à la date du mercredi 6 octobre 1993 (p. 25), la désopilante entrée en scène de Ramon, peut-être une allégorie du poète en zone occupée?
Ses armes sont la lucidité et un certain formalisme comique, bataillant pour une rhétorique que ne peut saisir l'inculture moderne ; mais peu importe si l'on ne saisit pas tout du sel de ses chimies phonétiques et de ses manipulations syntaxiques, peu importe si l'on n'aperçoit pas dans cette phrase le palindrome latin popularisé (si l'on peut dire) par Debord :
...on rit de voir que dans son errance lucide, le héros tourne en rond, la nuit, et est consumé par le feu dont nous nous sommes délestés nous-mêmes en son giron igné...
...peu importe, sa remouture est un emblème suffisamment moutonnant et Joseph toujours plein d'acuité et d'ivresse de (ce) bord du style qu'il démontre et démonte allègrement ; peu importe l'aptitude du lecteur à décoder tel ou tel passage, il découvrira même s'il ne sait pas lire tant d'autres hommages et dommages, de la virtuosité et des dettes et toutes sortes de poèmes inventifs, des scénarios délirants, il en liera de toutes les couleurs, procèdés qui s'aident, programmes pros et vers qui se mirent, fautes dénoncées aussitôt qu'avancées.
Poète dans le style Géo Trouvetout, Joseph est aussi professeur d'esthétique (voir sa biographie sur ce site), et connaît assez bien les artistes contemporains pour les maltraiter de façon aussi juste que réjouissante (p. 63/64) :
...ces gens sont persuadés que la beauté n'est pas leur affaire.
Quelques jours plus tard, l'auteur ou héros, plus sombre que jamais, désavoue ce texte...à cause de sa grammaire, naturellement.
Ce n'est que le début de la première partie, il faudrait raconter ainsi le livre au fur et à mesure de son avancée rapide, un film saisi par une micro-caméra implantée dans le cerveau blanc vert et gras d'un immense écrivain mais STOP, il s'agit de convaincre des récalcitrants qui croient que les livres épais sont pénibles à lire (alors que ce ne sont que les mauvais livres).
On ne peut reproduire ici le travail de Dominique Figarella, (avec lequel Mouton partage une même passion de l'intelligence créatrice, l'un et l'autre jouant avec les concepts comme deux enfants d'yeux), travail de lecteur devenu artiste et l'inverse, sublimant tel membre de phrase, avérant tel mécanisme, chromant un adverbe et presque toujours, facilitant la lecture.
Tout le sel du sous-titre (RAMON) ne sera compris qu'au-delà de la page 270 , grâce à un désopilant commentaire d'une lettre de motivation de l'auteur, accompagnant une demande de bourse au CNL.
En tiré à part, le phonématon de Mouton nous fait rêver à un éditeur moins épris de défaites que Richard Meier (in cauda venenum), la couleur du phonémouton nous fait rêver que ce livre aurait pu être édité et donc mieux distribué par Tristram, le couple qui croit que Mehdi Belhaj Kacem et Onuma Nemon sont des génies (Pourquoi? mais bon sang, Joseph! Parce qu'ils croient à la puissance des noms?!).
C'est un peu ce qui arrive à mon ami Joseph Mouton.
Sauf que celui-ci est parvenu à sortir de ses états (qu'il subit ou sublime entre Groucho et Keaton), pour nous offrir un livre relatant sa difficile insertion dans le monde actuel et les tourments que suscitent chez un esprit aussi férocement exigeant et cultivé, les processus de l'écriture, la montée des phrases, les devoirs de la création.
IL évoque mieux qu'aucun écrivain actuel (c'est-à-dire avec humour) les basses eaux mentales qui font (sa) saison aujourd'hui et mieux qu'aucun philosophe (c'est-à-dire avec clarté) les questions que soulève...
la structure de la langue, qui est à la fois extrêmement résistante et parfaitement folle dès qu'on lui donne la parole.
Cela débute comme un journal (de 1993 à 2001) mais pas un journal d'adolescent ni de bourgeois ni d'écrivain gallimarrant (voir les hilarants pastiches du début), un véritable journal de héros qui nourrit des projets et que ses projets nourrissent peu ou prou : anorexie/boulime, autre alternance pathologique que ne soigne pas l'écriture.
Même si les pages se défont au fur et à mesure qu'on avance, (bravo l'imprimeur et l'éditeur pourtant soutenus fortement par le CNAP ), le lecteur n'en finit pas de découvrir du nouveau dans ce piétinement défaitiste : il faut d'abord lire cela dans l'ordre et ne pas manquer, à la date du mercredi 6 octobre 1993 (p. 25), la désopilante entrée en scène de Ramon, peut-être une allégorie du poète en zone occupée?
Ses armes sont la lucidité et un certain formalisme comique, bataillant pour une rhétorique que ne peut saisir l'inculture moderne ; mais peu importe si l'on ne saisit pas tout du sel de ses chimies phonétiques et de ses manipulations syntaxiques, peu importe si l'on n'aperçoit pas dans cette phrase le palindrome latin popularisé (si l'on peut dire) par Debord :
...on rit de voir que dans son errance lucide, le héros tourne en rond, la nuit, et est consumé par le feu dont nous nous sommes délestés nous-mêmes en son giron igné...
...peu importe, sa remouture est un emblème suffisamment moutonnant et Joseph toujours plein d'acuité et d'ivresse de (ce) bord du style qu'il démontre et démonte allègrement ; peu importe l'aptitude du lecteur à décoder tel ou tel passage, il découvrira même s'il ne sait pas lire tant d'autres hommages et dommages, de la virtuosité et des dettes et toutes sortes de poèmes inventifs, des scénarios délirants, il en liera de toutes les couleurs, procèdés qui s'aident, programmes pros et vers qui se mirent, fautes dénoncées aussitôt qu'avancées.
Poète dans le style Géo Trouvetout, Joseph est aussi professeur d'esthétique (voir sa biographie sur ce site), et connaît assez bien les artistes contemporains pour les maltraiter de façon aussi juste que réjouissante (p. 63/64) :
...ces gens sont persuadés que la beauté n'est pas leur affaire.
Quelques jours plus tard, l'auteur ou héros, plus sombre que jamais, désavoue ce texte...à cause de sa grammaire, naturellement.
Ce n'est que le début de la première partie, il faudrait raconter ainsi le livre au fur et à mesure de son avancée rapide, un film saisi par une micro-caméra implantée dans le cerveau blanc vert et gras d'un immense écrivain mais STOP, il s'agit de convaincre des récalcitrants qui croient que les livres épais sont pénibles à lire (alors que ce ne sont que les mauvais livres).
On ne peut reproduire ici le travail de Dominique Figarella, (avec lequel Mouton partage une même passion de l'intelligence créatrice, l'un et l'autre jouant avec les concepts comme deux enfants d'yeux), travail de lecteur devenu artiste et l'inverse, sublimant tel membre de phrase, avérant tel mécanisme, chromant un adverbe et presque toujours, facilitant la lecture.
Tout le sel du sous-titre (RAMON) ne sera compris qu'au-delà de la page 270 , grâce à un désopilant commentaire d'une lettre de motivation de l'auteur, accompagnant une demande de bourse au CNL.
En tiré à part, le phonématon de Mouton nous fait rêver à un éditeur moins épris de défaites que Richard Meier (in cauda venenum), la couleur du phonémouton nous fait rêver que ce livre aurait pu être édité et donc mieux distribué par Tristram, le couple qui croit que Mehdi Belhaj Kacem et Onuma Nemon sont des génies (Pourquoi? mais bon sang, Joseph! Parce qu'ils croient à la puissance des noms?!).