Les accolades de Pierre Ménard
En cliquant sur le site de Contre-mur,, on peut voir l’image reproduite d’une très grande beauté plastique, une des réussites de la maison.
La disposition du texte évoque d’abord un calligramme très abstrait (mais surtout à cause du titre), un labyrinthe en spirale à partir duquel le jeu sur la taille de la police et l’impression plus ou moins grasse des caractères finissent par dégager de la figure au sens propre, tête ou oreille.D’ailleurs le champ lexical du texte évoque souvent
visage, regard, paupières, lèvres
Une sorte de devise revient également, fragmentée ou non :
je préfère ne pas vivre à ne pas vivre la vie qui me plaît
Mais pour donner envie d’entrer dans un rapport plus authentique de lecteur-regardeur avec ce travail, le mieux est de laisser la parole à l’auteur qui, sur son site, nous en offre la genèse,
Début du copié/collé de Pierre Ménard
« Un homme se propose la tâche de dessiner le monde. Au fil des ans, il peuple un espace d’images de provinces, de royaumes, de montagnes, de baies, de navires, d’îles, de poissons, d’habitations, d’instruments, d’astres, de chevaux et de personnes. Peu avant de mourir, il découvre que ce patient labyrinthe de lignes trace l’image de son visage. »
Cette phrase de Borges m’obsède depuis fort longtemps, j’ai souhaité travailler à l’élaboration d’une affiche qui mette en valeur un texte sur ce thème écrit en fonction de ce format, les dimensions de l’affiche, et dont la lecture se déroule en plusieurs temps et différents niveaux, visuelle (sous la forme d’un visage qui se dessine à travers les textes qui s’entremêlent, de différentes tailles et valeurs de gris), et textuelle (un poème pêle-mêle de fragments de phrases prélevées dans les marges des livres que j’ai lus et qui m’accompagnent de longue date).
J’ai toujours annoté les livres imprimés que je lisais, j’ai toujours écrit d’ailleurs dans les marges des livres que je lis. Comme je le rappelais il y a quelques années dans mon coming out, Je me souviens d’une exposition dans la bibliothèque municipale de la ville de banlieue où j’ai grandi et qui avait exposé dans la hall d’entrée un ensemble d’ouvrages annotés (la moitié d’entre eux je les avais lus et j’avais griffonnés mes notes, pense-bête, dans leurs marges). Ce fut la première exposition de mes textes. Et c’était dans une bibliothèque. La bibliothèque audio de lectures versatiles Page 48 n’était rien d’autre du reste qu’un prolongement sonore et poétique de mes propres lectures et les poèmes liminaires écrits dans ce cadre et que Publie.net a diffusé sous le titre en avant marge.
J’écris ce qu’il y a entre. Les vides, les silences, les aspects aléatoires et lacunaires de la mémoire, les instants en suspens, les absences et l’attente, ce qui nous fait hésiter, la distance entre nous, un mot à la place d’un autre, tous nos écarts et les traces qui en restent, tout ce qui nous unit, dans ce qu’il y a de plus intime, de plus personnel, à l’origine, et que seuls, les mots des autres remaniés, agencés en différentes manières et confrontés à d’autres me permettent d’exprimer au plus juste, au plus près. Je ne raconte pas d’histoire, j’écris en marge et ce sillon que je creuse est fragile.
FIN du copié/collé,
il y a de la jubilation créatrice à copier-coller du Pierre Ménard (à quelques signes près),
il y en a encore plus à découvrir cette affiche dont la beauté vous met chaos.