Les chevaux de Tarkovski de Pia Tafdrup
Présentation de l'auteur par l'éditeur
Née en 1952 à Copenhague, Pia Tafdrup se fait remarquer en 1981 lorsqu’elle publie Når det går hul på en engel, qui marque une rupture avec la génération « crack prose » des années 70. Pia Tafdrup devient une figure importante de la « génération sauvage » en contribuant à des revues comme Konstellationer ou Transformationer. En 1991, elle théorise sa poésie dans un traité marquant : Over vandet gar jeg. Son travail s’inspire notamment de Celan, Ekelöf, Tsvetaïeva ou Mandelstam (...) Elle est l’auteur de nombreux recueils de poésie (dont Spring flod en 1985, Territorialsang en 1994, Tarkovskijs heste en 2006), de romans, de pièces de théâtre, et ses livres sont traduits dans plus de vingt-cinq langues. Son recueil La forêt de cristal, a été traduit en français aux éditions Circé en 2000
Poème extrait du livre, p. 24-25
ROSE-PRISON
Ma mère se trompe de chemin, peste mon père,
elle répond machinale : c’est la bonne
direction.
Il a un tracteur garé pas très loin
dit-il d’une voix poussiéreuse
au moment où la voiture passe devant un champ.
Ce qui est perdu est perdu, septembre -
Le ciel est bas, mon père
refuse de sortir quand nous arrivons à la maison de repos.
Et pourquoi entrer dans cette maison étrangère ?
Pourquoi me souhaite-t-on la bienvenue ici ?
Mon père salue poliment,
son visage s’illumine
quand mon frère vient à notre rencontre –
mon frère a trouvé une bonne maison.
Ou est-ce celle de ma mère ? Elle a déménagé, elle ?
Est-il exilé ? Est-ce un hôtel ?
Mon père n’a pas demandé de vacances,
Mais c’est ici qu’il va vivre désormais. Un lit, une table, une chaise.
Viens …. Ma mère pose un vase sur la table,
des roses rouges du jardin, d’un pays
perdu … die Niemandsrose. Viens.
Des épines, des égratignures, des cimes à l’arôme de sang.
Une maison ? Un abîme ? Une conspiration ?
Le regard émoussé de mon père
à la découverte de son nom sur la porte.
Est-il hospitalisé ?
Ou emprisonné ?
Le monde est là
où se pose le regard de mon père. Je lui montre
les sorties,
les fenêtres de toutes les pièces, les portes.
Le bâtiment n’est pas une prison, pour nous deux
j’affronte
des vents glacés.
Un filet de silence s’abat,
elle ramasse les débris, recompose son univers, ma mère.
La lumière flottante des roses.
C’est une énigme
elle ne passera pas la nuit ici
elle ne dormira ni dans le lit de mon père,
ni sur le sofa –
c’est donc un hôtel ? Un hôpital ? Ou une prison ?