Les jambes sans sommeil de Didier Arnaudet par David Fuckingnose
On peut commencer ce livre singulier par le début, des « textes » issus d’un échange de cartes postales entre Johnny Hallyday et … Philippe Sollers ! Une lecture attentive montre qu’un même dispositif a été utilisé dans les 14 cas : toutes commencent par une date complète (entre 1965 et 1966) et la formule de l’adresse au destinataire commençant par « cher » suivi de son nom complet (pour les 4 premières cartes seulement puis par les seuls prénoms pour les suivantes), s’ensuit une définition, en mode dictionnaire, d’un mot qui figure en bas du texte et à l’envers puis, entre les deux, des phrases de dialogue entre personnes cultivées dont certaines versent dans l’aphorisme. Arnaudet ne cherche donc pas à créer une quelconque vraisemblance, les deux signatures ne valent et ne jouent que par leur éclat de notoriété ici incongru.
Et, dans tout le volume, ce sera le seul moment où le titre (14 cartes postales) présente un lien immédiat et clair avec le texte à suivre.
Ce n’est pas la moindre surprise de ce livre qui, comme il est précisé en 4° de couverture, « s’agite dans tous les sens. » … comme les jambes sans sommeil ou les jambes impatientes, « trouble neurologique » dont l’un des narrateurs ou l’auteur affirme souffrir.
Sur cette analogie, l’élan est pris pour nous offrir un genre de miscellanées (ou analectes) qui suscitent la question suivante : l’auteur (cinéphile) a-t-il transformé son bureau en table de montage, a-t-il sciemment travaillé l’agencement de ses textes ou bien est-ce moi lecteur qui, manquant d’intelligence pour saisir cet art, ai l’impression qu’il publie ce qu’on appelle des fonds de tiroirs ou des embryons de livres ?! « Journal, biographie, dialogues, fiction, entretien, fait divers correspondance », écrit-il en 4 °, « tout est sujet à fourmillements, secousses, brûlures, démangeaisons, mouvements d’extension » pour filer sa métaphore (bien extensible !) du trouble neurologique.
D’autres figures célèbres défilent, du cinéaste Jim Jarmush au coureur automobile Jim Clark en passant par Gainsbourg, Jean Genet ou Louis-René des Forêts, dans des dispositifs différents. On découvre un seul autre faux dialogue, celui entre Philippe Thomas (artiste contemporain français, l’auteur connaît bien ce milieu), qui, ayant « des insectes dans les jambes » , en sait plus que la Faculté sur ce syndrome et Jeff Costello, personnage de Melville interprété par Delon dans Le Samouraï(1967), qui rapporte une anecdote de tournage dont il est difficile de savoir si elle est ou non inventée et envoie dans la foulée des aphorismes ou assertions comme celle-ci …
« Le secret se vide et ce fait n’enlève pas sa vibration. Il se vide, mais sa vibration reste, c’est même pour ce prétexte que le rien, c’est n’importe quoi, mais ce n’est pas rien pour autant. »
… qui pourrait définir l’art poétique de l’auteur car on va de secret avoué en secret éventé, du vide au n’importe quoi etce n’est pas rien pour autant.
L’un des textes les plus réussis à mon sens, est « L’angle des épines » : une succession de descriptions très basiques de tableaux célèbres, au milieu desquelles s’interpole, facilement repérable grâce aux italiques, le récit d’un accident d’avion très documenté techniquement et d’autant plus haletant qu’il oblige le lecteur à des pauses contemplatives, l’expose à la tentation des sauts de ligne et le précipite vers une fin remuante.
L’auteur nous tire dans les jambes sans s’impatienter, avec la froideur d’Alain Delon et réalise une fusion avec son lecteur éprouvé dans l’une des phrases de la dernière page :
« Son langage était volontairement réduit, sans éclat, mais c’était parce qu’il se savait tout proche du silence et n’ignorait pas que sa part d’interrogation lui venait de ce voisinage. »