11 juil.
2005
Lui, le livre de El-Mahdi Acherchour.
El-Mahdi Acherchour, "le plus jeune et le plus talentueux poète de sa génération" d'après son éditeur "vit isolé dans un petit village de Kabylie, et a déjà publié deux recueils de poèmes ; poète qui se dit volontiers "primitif" mais revendique la filiation avec Kateb Yacine "pour mieux s'en affranchir", il a déjà obtenu deux résidences en France dont la dernière à Saint-Nazaire.
D'emblée les phrases et le lexique semblent assez traditionnels (la mer et la mort, le désert, les mirages et l'oasis, les puits à creuser, les figues et les olives, les contes des anciens, fées et ogres) et pourtant le texte oppose une résistance à la compréhension, il contraint et trouble ce qui pouvait sembler limpide ; on comprend que l'auteur use d'images pour dire l'écriture, son impossibilité et ses énigmes, ses jeux et ses risques.
Il veut inscrire cette quête dans la tradition mais
...les ancêtres riaient de la dureté de leur absence en moi
Peut-être une issue se présente-telle :
j'ai dû augmenter le volume des mots crus
mais l'adjectif lui-même n'emblématise-t-il pas cette foi si fragile qu'elle amène à rompre le sens, à bégayer sur les choses pourtant apprises :
cette immensité perdue, cette forêt plongée et chantée dans ma mémoire, cette, cette et cette.
Puis quelques pages plus loin :
Elle a pris le temps de régner sur moi et sur le temps, cette Espacée, Essence allée pour que je l'attende, cette démence exquise, cette souveraine présence, cette géante attente, cette, cette et cette...
Cette première partie est intitulée Parce qu'en ce récit, partir et dit bien par son insistance sur la même syllabe, cette difficulté et du départ et du partage.
Dans la seconde partie intitulée Le rôle du lion (mais il sera aussi question de sa part), on croit avoir affaire à un récit plus traditionnel : un vieux mécanicien dénommé Youcef cherche quelqu'un qui est peut-être mort, il frappe à la porte d'un café mais les peut-être font doucement glisser la narration dans l'errement onirique, ils la lissent.
Une guerre peut-être.
Peut-être entend-on les rafales de mon récit.
Oui, par rafales, vent ou armes à feu, crépitements dans les images du songe, une histoire tente de se faire entendre dans une langue bien plus familière et actuelle, laissant toutefois filtrer les obsessions précédentes du partir et d'une vraie fée. On ne sait pas s'il est quatre heures du matin, l'heure des cauchemars ou quatre heures plus tard, une seule certitude : le chiffre, le chiffré du récit conducteur d'une écriture plutôt tordue, qui toujours ramène à la question de l'écriture et du pas racontable, du récit impossible.
Ce serait comme si mes mots étaient l'inverse d'un long verset.
Renversant comme le dit du corps (érection) ou cette recherche du choc, de l'affront, corps à Coran, versets subversifs et forts comme le courage de celui qui s'autorise à écrire :
Quant à la main de Dieu, elle n'a que la vanité pour me montrer le chemin de la Mecque.
Puis d'une partie à l'autre, le récit se poursuit si le narrateur change, il s'affermit si bien qu'on pourrait parfois se croire emporté comme dans un roman avec des phrases comme « L'horloge indiqua onze heures ». Et les mêmes personnages reviennent.
C'est émouvant de voir ce jeune poète qui lit Faulkner et Beckett, reprendre sa tradition pour l'ébranler, peut-être même la renverser comme nous pouvons le faire ici en France, à cette différence près que nous le faisons sans risque.
... tous ces lieux étaient des hisoires qu'on ne raconte pas au monde, le silence qui les habite est une grotte où même les paroles du Prophète (... ) ne résonneraient pas.
Une poésie étrange et envoûtante, antique et moderne, très loin et très proche de nous, qui s'achève dans une prose sans ponctuation et en italiques où le jeune auteur dit son désir de
... partir de telles histoires lui dis-je ne se renouvellent pas sur le même fil un jeune conteur va vers les mots des grands qui te racontent la même phrase va mon grand va rattraper ces histoires allées jamais allées à mieux que la vérité...
Il est parti de ses histoires dans tous les sens, comme s'en étant inspiré, s'en étant enivré ou les ayant abandonnées, toutes inachevées tant son aspiration à mieux que la vérité est aussi actuelle que haute.
On se pliera donc à sa dernière injonction :
N'ajoutez rien.
D'emblée les phrases et le lexique semblent assez traditionnels (la mer et la mort, le désert, les mirages et l'oasis, les puits à creuser, les figues et les olives, les contes des anciens, fées et ogres) et pourtant le texte oppose une résistance à la compréhension, il contraint et trouble ce qui pouvait sembler limpide ; on comprend que l'auteur use d'images pour dire l'écriture, son impossibilité et ses énigmes, ses jeux et ses risques.
Il veut inscrire cette quête dans la tradition mais
...les ancêtres riaient de la dureté de leur absence en moi
Peut-être une issue se présente-telle :
j'ai dû augmenter le volume des mots crus
mais l'adjectif lui-même n'emblématise-t-il pas cette foi si fragile qu'elle amène à rompre le sens, à bégayer sur les choses pourtant apprises :
cette immensité perdue, cette forêt plongée et chantée dans ma mémoire, cette, cette et cette.
Puis quelques pages plus loin :
Elle a pris le temps de régner sur moi et sur le temps, cette Espacée, Essence allée pour que je l'attende, cette démence exquise, cette souveraine présence, cette géante attente, cette, cette et cette...
Cette première partie est intitulée Parce qu'en ce récit, partir et dit bien par son insistance sur la même syllabe, cette difficulté et du départ et du partage.
Dans la seconde partie intitulée Le rôle du lion (mais il sera aussi question de sa part), on croit avoir affaire à un récit plus traditionnel : un vieux mécanicien dénommé Youcef cherche quelqu'un qui est peut-être mort, il frappe à la porte d'un café mais les peut-être font doucement glisser la narration dans l'errement onirique, ils la lissent.
Une guerre peut-être.
Peut-être entend-on les rafales de mon récit.
Oui, par rafales, vent ou armes à feu, crépitements dans les images du songe, une histoire tente de se faire entendre dans une langue bien plus familière et actuelle, laissant toutefois filtrer les obsessions précédentes du partir et d'une vraie fée. On ne sait pas s'il est quatre heures du matin, l'heure des cauchemars ou quatre heures plus tard, une seule certitude : le chiffre, le chiffré du récit conducteur d'une écriture plutôt tordue, qui toujours ramène à la question de l'écriture et du pas racontable, du récit impossible.
Ce serait comme si mes mots étaient l'inverse d'un long verset.
Renversant comme le dit du corps (érection) ou cette recherche du choc, de l'affront, corps à Coran, versets subversifs et forts comme le courage de celui qui s'autorise à écrire :
Quant à la main de Dieu, elle n'a que la vanité pour me montrer le chemin de la Mecque.
Puis d'une partie à l'autre, le récit se poursuit si le narrateur change, il s'affermit si bien qu'on pourrait parfois se croire emporté comme dans un roman avec des phrases comme « L'horloge indiqua onze heures ». Et les mêmes personnages reviennent.
C'est émouvant de voir ce jeune poète qui lit Faulkner et Beckett, reprendre sa tradition pour l'ébranler, peut-être même la renverser comme nous pouvons le faire ici en France, à cette différence près que nous le faisons sans risque.
... tous ces lieux étaient des hisoires qu'on ne raconte pas au monde, le silence qui les habite est une grotte où même les paroles du Prophète (... ) ne résonneraient pas.
Une poésie étrange et envoûtante, antique et moderne, très loin et très proche de nous, qui s'achève dans une prose sans ponctuation et en italiques où le jeune auteur dit son désir de
... partir de telles histoires lui dis-je ne se renouvellent pas sur le même fil un jeune conteur va vers les mots des grands qui te racontent la même phrase va mon grand va rattraper ces histoires allées jamais allées à mieux que la vérité...
Il est parti de ses histoires dans tous les sens, comme s'en étant inspiré, s'en étant enivré ou les ayant abandonnées, toutes inachevées tant son aspiration à mieux que la vérité est aussi actuelle que haute.
On se pliera donc à sa dernière injonction :
N'ajoutez rien.